Les déboires de Carozine à Bordeaux : "drôle"
31 AOût 2012
Nous avons pu précédemment constater que le Bordelais est une espèce particulière ayant développé son propre langage, rendant délicate toute communication avec l'alien parisienne que je suis. Après la poche bordelaise et la débandade de la chocolatine, ou encore le gavé, il est largement temps d'aborder le "drôle".
En cette ville qu'est Bordeaux où avoir des gremlins semble être le sport local, au même titre que de voler les poubelles ou les vélos, et où les rues sont littéralement infestées de bambins tonitruants gambadant partout pendant que les parents trainent la trottinette délaissée par leurs têtes blondes (oui, il est excessivement rare qu'ils s'arrêtent après la première tentative), il est délicat (pour ne pas dire impossible) d'éviter la conversation sur les gremlins. La première question venant généralement à la bouche du Bordelais rencontré quelques minutes auparavant est même de savoir si vous êtes une heureuse maman. Il est alors inutile de faire remarquer que la question est quelque peu déplacée, cela ne semble pas entrer en ligne de compte à Bordeaux, car, une fois la stupeur digérée face à votre "non" retentissant, le Bordelais se renseignera sur votre âge… "Comment ? 30 ans ?! et tu n'as pas d'enfant ??"… A la tête franchement hébétée du Bordelais, on peut, sans trop se tromper, en conclure qu'il est en train de se demander s'il ne ferait pas mieux de contacter votre gynécologue afin de vérifier que tout fonctionne correctement chez vous. Jouons franc jeu, vous n'échapperez pas à l'effroyable conversation sur le gremlin car vous serez probablement la seule autour de la table à ne pas en avoir et à tomber dans une sombre apathie dès que vos collègues évoqueront le dernier tour de leur "drôle". Plait-il ? Alors que j'étais fermement résolue à clore les écoutilles au premier "Oh, c'était tellement mignon, elle était avachie dans le canapé avec la télécommande à l'envers", un "drôle" subrepticement placé dans la phrase m'a fait tendre l'oreille.
Le "drôle"... une particularité familiale du sud
Outre le fait que la prononciation de "drôle" à la bordelaise (il faut donc prononcer "drolle", exactement de la même façon que vous pourriez dire "Cette ode à la Garonne est absolument magnifique" -et dans la mesure où nous sommes à Bordeaux, vous pouvez préciser à votre interlocuteur que vous parlez bien du poème et non de votre cousine Aude, étant donné que les peuplades du sud ont décrété que les deux se prononçaient de la même façon, mais nous nous écartons du sujet) m'avait quelque peu déroutée, me faisant ainsi prendre l'expression chère aux élèves n'ayant retenu que couic de leur leçon apprise la veille : regard clignotant d'ignorance stupide pendant qu'un air béat de ravi de la crèche s'incruste sur les traits d'un visage que l'on tente de rendre studieux tandis que l'on active vainement le pois chiche endormi dans notre cervelle ; bref, je devais avoir l'air sérieusement abruti, d'autant que l'utilisation du mot dans une phrase faisant clairement référence au gremlin de ma collègue avait sonné le branle-bas de combat dans mon cerveau peu vaillant. Deux solutions d'interprétations s'offraient alors à moi : option 1, ma collègue avait mis au monde un comique qui lui titillait les zygomatiques à longueur de journée à force de lui faire des blagues hilarantes et elle l'aurait donc affublé du surnom "drôle"… Mon cerveau de non mère ayant édicté qu'un gremlin peut difficilement être aussi hilarant que le Professeur Rollin et qu'il rencontrerait donc certaines difficultés à faire rire un adulte à longueur de journée, je décidai de choisir l'option 2 (et ceci est mon ultime bafouille, Jean-Pierre) : le Bordelais possède un mot bien particulier pour ce que j'ai nommé le gremlin : le drôle. Cette déduction on ne peut plus logique m'a ainsi permis de ne plus ouvrir de grands yeux dignes d'un merlan plus très frais dès qu'un collègue parlait de son "drôle" (et surtout de me replonger dans ma lecture au moment précis où le "drôle" faisait son apparition dans la conversation). Mais pourquoi diable avoir attribué "drôle" aux enfants, me direz-vous ? Et c'est une question absolument pertinente à laquelle, en fine enquêtrice que je suis, je n'ai pas eu de réponse précise… L'enfant du sud (oui, parce qu'à la réflexion, et en activant les quelques neurones qui s'agitent avec parcimonie dans mon bulbe, il s'avère que môsieur Daudet utilisait également le "drôle" dans ses contes) serait-il plus rusé et fourbe que les enfants nordiques ? Il faut dire qu'avec une doudoune épaisse, il est certainement plus laborieux de faire des bêtises que lorsque l'on est en short… Ou l'air du sud ouest attribuerait-il des vertus hilarantes aux bambins nés dans ses contrées ? Si l'on ajoute à cette épineuse question d'étymologie l'énigme de la générosité mammaire des habitantes de la ville, Bordeaux est décidément une ville pleine de mystères !
Bougres de faux jetons à la sauce tartare ! C'est tout ?!
Autres expressions avec Carozine : Les jurons du Capitaine Haddock : écornifleur