Apaiser nos tempêtes : lecture fulgurante
[Carozine dévore le roman Apaiser nos tempêtes - Jean HEGLAND]
Cela fait une éternité (à peu de choses près) que je n’ai rien publié sur mon pauvre blog au ralenti, lui ayant privilégié la rapidité et la facilité d’instagram (aaaah, l’éternel baobab qui prend racine au creux de ma paume !) mais là, la nécessité de vous parler plus longuement de ma lecture s’est imposée à moi. Comment se contenter d’une chronique rapide qui ne sera pas lue pour ce roman fulgurant qu’est Apaiser nos tempêtes ? Impossible. Apaiser nos tempêtes mérite mieux. Apaiser nos tempêtes mérite que l’on prenne le temps. Et qu’on essaie d’analyser le flot d’émotions qui nous a submergée à sa lecture. Car Jean Hegland a, une nouvelle fois, frappé fort. Allez, je remonte le fil de mes pensées et je vous raconte tout !
Un arbre se dresse sur un versant de colline battu par les vents. Seul entre les cieux qui s’assombrissent et la terre caillouteuse, il tend vers le haut ses branches noueuses, qui sont en pleine floraison. Un soleil bas embrase les nuages lourds, réchauffe son tronc brisé, enflamme ses milliers de fleurs.
L’arbre a presque été fendu en deux —peut-être par la foudre, peut-être par le vent, ou par le poids de ses fruits lors d’un automne trop fécond, il y a longtemps. Une moitié gît au sol à présent, stérile. Mais la moitié vivante se tient fière, parée de fleurs blanches si nombreuses qu’elles semblent en suspens dans l’air lourd. Même les plus petites banches en sont recouvertes, et sur la photo, chaque pétale luit, telle la flamme d’une bougie. Apaiser nos tempêtes - Jean HEGLAND
Apaiser nos tempêtes : deux destins qui se nouent
Anna a vingt-deux ans et est en train de terminer ses études pour devenir photographe quand elle tombe enceinte. Le choix s’impose de lui-même : elle n’est pas une mère mais une artiste en devenir qui se demande combien d’oeuvres d’art la maternité spolie au monde. Elle décide d’avorter, sans bien avoir conscience de la douleur qui en découlerait, de cette impression de stérilité qui annihile toute velléité de prendre des photographies. Elle qui sait mieux que quiconque percevoir les textures et les lumières se trouve confrontée au néant et à la perte d’envie.
Cerise a quinze ans et est engluée dans les affres de l’adolescence, mal dans son corps en pleine métamorphose, quand elle tombe enceinte et décide de garder ce bébé, bien que trop jeune pour bien réaliser. Malgré sa jeunesse, elle prend sa vie à bras le corps pour offrir le meilleur à sa fille. Ou du moins essayer.
(…) cette volute, cette douleur, cette perle, cette graine de lumière. Encore aujourd’hui, son image s’invitait parfois dans sa tête, vaporeuse comme une étoile juste avant que la tombée du soir ne la fasse apparaître. C’était encore un vide trop précieux pour être dissout dans des mots. Anna n’en avait parlé à personne, pas même à Eliot. Elle n’en avait jamais rien dit, et elle n’avait jamais oublié. Pendant dix ans, cela avait été son talisman, son grigri, un mémento de toute ce qu’elle devait au monde.
Pas malgré tout, avait dit sa grand-mère : Parce que. Et le lendemain, Anne avait sorti son appareil photo du coffre de la petite Subaru qu’elle conduisait à l’époque. Apaiser nos tempêtes - Jean HEGLAND
Apaiser nos tempêtes : la maternité sous toutes les coutures
Après le roman Dans la forêt, qui m’avait subjuguée, Jean Hegland conserve son fil rouge de la condition féminine et se penche sur la maternité. Apaiser nos tempêtes évoque le statut de femme, ce raz-de-marée que représente l’arrivée d’un enfant dans nos vies en chamboulant nos certitudes et en nous plongeant dans un monde d’angoisse et d’amour pur, les choix que l’on fait (ou que l’on subit indirectement) en tant que mère et les compromis que cela implique parfois. Apaiser nos tempêtes questionne la maternité, les émotions qui sourdent à notre surface, le deuil, l’éducation et la classe sociale qui prédispose parfois de nos choix de vie, l’identité et la quête de soi. La fragilité de la vie. Jean Hegland signe une petite merveille toute en nuances, en sensibilité et en délicatesse quand il s’agit d’évoquer nos sentiments de mère. Apaiser nos tempêtes est une sorte de roman initiatique, de réconciliation avec soi. Un roman tellement émouvant. Si beau. Et si triste. Viscéral. Lumineux.
Elle pensa au mystère qu’étaient ses filles —ces étrangères, ces invitées, ces amies très chères insoupçonnées—, en quelque sorte tombées dans leur propre vie à travers elle. Ses filles si proches par le ton de leur voix et le contact de leurs mains, par leur chair et par leur souffle plus précieux que les siens propres. Mais ses filles en même temps si lointaines, avec leur âme inviolable, leur moi secret séparé du sien pour l’éternité. Elle avait follement besoin d’elles ; elles étaient indispensables à sa propre identité, et même son art dépendait d’elles.
Fermant les yeux, elle vit à travers les larmes sombres qui envahissaient ses paupières l’autre mystère qui l’avait habitée, ce morceau de tissu organique qui n’avait jamais revendiqué un sexe ni accédé à un visage mais qui avait existé à l’intérieur d’elle malgré tout, qui avait étrangement contribué à la façonner par son absence. Apaiser nos tempêtes - Jean HEGLAND
Les détails du livre
Apaiser nos tempêtes
Auteur : Jean HEGLAND
Traducteur : Nathalie BRU (V.O. : Windfalls)
Éditeur : Phebus
Prix : 23 €
Nombre de pages : 556
Parution : août 2021
Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!
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