Les déboires de Carozine à Bordeaux : embaucher et débaucher
17 Juin 2013
Après de longs (très longs) mois à être happée par un projet qui me tenait particulièrement à coeur mais fut quelque peu chronophage, voire même neurono-phage (oui, oui), votre chère et tendre rédactrice est bel et bien de retour et a décidé que, pour fêter ce grand événement, il n'y avait rien de mieux que de vous plonger à nouveau dans les délices de la langue bordelaise et de ses expressions qui déroutent parfois. Vous savez désormais ce qu'est une poche (et surtout pourquoi on vous propose de déposer votre chocolatine dans cette poche) ou encore un drôle, mais aujourd'hui ce sont aux expressions laborieuses "embaucher" et "débaucher" que nous nous attacherons. Oui, braves lecteurs !! Dans le monde de la start-up parisienne où, vous et vos collègues, vous installiez lourdement, le neurone pas encore bien réveillé, devant votre ordinateur à une heure quelque peu indécente, précédant de peu l'heure de la pause déjeuner, "embaucher" et "débaucher" étaient des expressions que vous ne côtoyiez que bien peu et surtout dans un sens bien différent. Mais prenons le temps d'une légère analepse, parce que cela m'amuse diablement.
Embaucher : quand la masse laborieuse de Bordeaux s'adresse à vous
Alors que, l'été dernier, je savourais (le verbe n'est franchement pas approprié, mais la solution de facilité n'est pas toujours un mauvais choix) un abominable thé au citron brûlant, les yeux encore vaguement clos de sommeil et le neurone ramolli par les nuits festives et estivales de Bordeaux, l'un de mes collègues s'approcha, l'air vaguement concerné, et me demanda : "Mademoiselle C., tu embauches quand ?". Vaguement déconcertée, je le regardais perplexe et lui expliquais que, d'après mes dernières informations, mon contrat avait été signé il y avait déjà une bonne semaine de cela, que j'avais donc été embauchée et que je ne déambulais pas dans les rayons de la librairie en faisant claquer mes bottes sur le parquet pour le plaisir de servir de plante verte mais bel et bien parce que je travaillais là, et que, en ce jour radieux, je commençais à 9h. La réaction de mon collègue qui sembla me considérer comme une folle, ou une ravie de la crèche (l'expression du visage laisse, à ce sujet, un doute d'interprétation mais les deux éventualités semblent plausibles), m'indiqua que je n'avais probablement pas donné la réponse attendue, mais, devant faire un tour par la case réserve afin de remplir mon rayon dégarni, je ne me posais pas plus de questions que cela. Quelques jours plus tard, alors que mon planning m'indiquait dans une couleur verte peu gracieuse que je devais faire la fermeture de la librairie, une autre collègue vint me voir et s'inquiéta, cette fois, de la manière suivante : "Dis, Mademoiselle C., tu débauches ?". Là, je fus un poil étonnée ; je ne m'attendais pas à ce que ma réputation de pochtronne parisienne soit déjà parvenue aux oreilles des libraires. Je pris donc un air angélique pour répondre que, vraiment, je ne voyais pas de quoi elle voulait parler, que j'étais l'image même de la sainteté et que je ne connaissais même pas la forme d'une bouteille de vodka, que nenni, pas de cela chez moi, je ne suis pas débauchée à ce point. Hilare, ma collègue me répondit qu'elle ne me demandait pas si j'étais un véritable pilier de bar mais à quelle heure je terminais ma journée de travail. Oups.
Débaucher /Embaucher : place aux expressions bordelaises… mais pas que
Là était le fin mot de l'histoire ! A Bordeaux, il semble être communément admis que "embaucher" n'est pas uniquement lié au début de votre contrat de travail mais plus généralement à l'heure à laquelle votre patron daignera vous faire commencer votre journée. De façon on ne peut plus logique, "débaucher" est donc détourné de son sens courant et premier, consistant à distraire une personne du droit chemin du labeur (ou de son entreprise) ou encore de l'initier à la débauche, pour exprimer ce que tout salarié attend, depuis la minute où il prend son poste : l'heure à laquelle il sera enfin libre de ronchonner, de jurer comme un charretier, d'envoyer valser les pauvres âmes ayant l'extrême indélicatesse de lui demander un renseignement, bref, de sortir du carcan du travail, l'heure à laquelle il termine sa journée. Ceci étant, un reportage récent tourné à l'entrée d'une usine en pleine révolution sociale pour cause d'abominable patron capitaliste ayant décidé de fermer le site, mais camarades, indignez-vous !, bref, nous disions donc que le journaliste, en voix off, adopta un ton compatissant afin de nous expliquer, qu'à "l'heure de l'embauche, les visages étaient fermés et inquiets". Il semblerait donc que "embauche" et "débauche" ne soient pas uniquement un attribut bordelais mais bien une expression que les employés utilisent… du moins quand ils ne se pointent pas la tête enfarinée, à 11h du matin, pour prendre un café avant d'allumer leur ordinateur et de s'exciter sur l'achat au clic, le référencement, le community management et autre sombre impératif de la vie d'un site internet sur l'immense toile.
Bougres de faux jetons à la sauce tartare ! C'est tout ?!
Autres expressions avec Carozine : Le louchébem, pour parler boucher couramment