Les jurons du capitaine Haddock : Amiral de bateau-lavoir
5 Mars 2011
Avouez que les inénarrables jurons du capitaine Haddock décryptés par mes bons soins vous avaient manqué ! Parmi les litanies virulentes d’un capitaine Haddock postillonnant au nez de ses interlocuteurs, il est un juron qui m’amuse excessivement : le croustillant "amiral de bateau lavoir", qui pourrait vaguement se rapprocher de l’incongru "astronaute d’eau douce" pour le néophyte, mais que nenni ! L’effet que l’insulte (même sans la présence du capitaine Haddock) "amiral de bateau-lavoir" (auquel vous pouvez toujours ajouter un opportun "bougre de faux jeton à la sauce tartare" parce que le sauce tartare amuse toujours le public) pourrait avoir sur le goujat ayant laissé une empreinte crasseuse sur vos escarpins Repetto en daim rose pâle est, certes, dérisoire sur l’abruti en question, mais peut, éventuellement, posséder la vertu salvatrice de vous défouler... et c'est toujours bon à prendre au vu du prix de la paire de chaussures en question parce qu'elle sera, bien évidemment, irrécupérable.
L’amiral de bateau-lavoir, un métier en déperdition
Fut un temps où Paris possédait plus de pavés que de routes goudronnées et où notre chère capitale venait s’enclaver au sein d’un octroi ; fut un temps où d’imposantes femmes s’activaient frénétiquement au-dessus d’une eau publique rendue savonneuse pour faire leur lessive : les lavandières. En ce temps où la machine à laver combinant essorage et lavage (oui, parce que le premier brevet déposé concernant une machine à laver remonte à 1797) dormait encore paisiblement dans le labyrinthe neuronal de son concepteur, il existait pour les petites villes des lavoirs et les villes situées sur un grand cours d’eau bénéficiaient d’un bateau-lavoir : le bateau-lavoir était ainsi amarré en bord de fleuve et était équipé d’un lavoir, ainsi que d’un espace pour faire sécher le linge.
Amiral de bateau-lavoir : remise en cause de l'autorité
Le bateau-lavoir aurait donc été plus apparenté à la famille des bâtiments flottants qu’à celle d’une frégate ou d’un aviso ; le bateau-lavoir est, par ailleurs, nimbé d’un folklore lié aux caractères bien trempés des lavandières et à leurs incessants bavardages. Notre capitaine Haddock ayant vogué par delà les mers, il était donc bien naturel qu’il se gausse des responsabilités fort limitées d’un amiral de bateau-lavoir, tout juste bon à s’assurer que son équipage de lavandières ne perce pas un trou dans la cale du bateau-lavoir en frottant avec trop de véhémence les sous-vêtements de leur conjoint.
Le capitaine Haddock éructant ainsi son hilarant « amiral de bateau-lavoir », en mettant en cause les capacités nautiques du capitaine de ce navire, ressemble donc à s’y méprendre à votre chauffeur de taxi exaspéré par la jeune femme tentant vainement de faire un créneau en bloquant l’ensemble de la rue de son pot de yaourt et qui hurle par la fenêtre « mais vous avez eu votre permis de conduire dans une pochette surprise ? ». Certes, me direz-vous... mais il n’est probablement pas nécessaire d’être amiral pour diriger un bateau-lavoir. Et vous auriez raison : en plus de sérieusement douter des capacités nautiques d’un capitaine de bateau-lavoir, le capitaine Haddock englobe également son aversion pour les grades supérieurs de la Marine. Vous savez, ceux qui décident des plans d’action, en train de fumer tranquillement un cigare et de siroter leur whisky, pendant que les mousses se prennent des baquets d’eau de mer dans la tête ? Manifestement, le capitaine Haddock ne les appréciaient pas plus que ça et a donc décrété qu’ils étaient tout juste bons à surveiller nos lavandières. Ce qui me fait penser à une ultime expression, disparue en même temps que les lavandières et les bateaux-lavoir : « japiller comme une avocate de platte » (japiller signifiant parler et la platte désigne le bateau-lavoir).
Bougres de faux jetons à la sauce tartare ! C'est tout ?!
Autres expressions avec Carozine : Le "drôle" bordelais