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Toute la lumière que nous ne pouvons voir : destins croisés par temps de guerre

[Carozine dévore le roman Toute la lumière que nous ne pouvons voir - Anthony DOERR]

28 Juil. 2015

Carozine lit le roman Toute la lumière que nous ne pouvons voir - Anthony DOERR
Cela faisait fort fort longtemps que je n’avais plus plongé le nez dans un roman d’Anthony Doerr (découvert avec Le nom des coquillages)… alors, évidemment, quand j’ai appris que son dernier livre en date caracolait en tête des ventes, ma curiosité a été éveillée (puis, légèrement assoupie quand j’ai également entendu que Barack Obama en faisait les louanges, parce que bon, franchement, il y a mieux comme référence qu’un président utilisant son influence pour se positionner contre les petits pois dans le guacamole, mais passons). Et je n’ai pas été déçue. Toute la lumière que nous ne pouvons voir est un roman abouti, petit condensé de la personnalité d’Anthony Doerr et de sa façon très humaine de voir les choses. Un succès amplement mérité pour ce dernier roman de l’écrivain américain... qui a d'ailleurs reçu le prix Pulitzer pour Toute la lumière que nous ne pouvons voir, rejoignant Edith Warton et son magnifique roman Le temps de l'innocence ou encore Ernest Hemingway pour Le viel homme et la mer, Harper Lee et son inoubliable Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur ou Donna Tartt pour Le chardonneret (que je n'ai pas encore lu, je me suis, pour l'instant, arrêtée à son génial roman Le maître des illusions).

Pendant quelques instants, ils gardent le silence :
- J’ai entendu dire que le diamant est comme un éclat de lumière issu du monde originel -du monde d’avant la chute…, dit Marie-Laure. Un éclat de lumière tombé du ciel…
- Tu voudrais savoir à quoi ça ressemble. C’est pourquoi tu es si curieuse !
Elle roule un murex entre ses doigts, le porte à son oreille. Dix mille tiroirs, dix milles chuchotements au sein de dix mille coquillages.
- Non, dit-elle. Je voudrais croire que papa ne s’en est pas approché. Toute la lumière que nous ne pouvons voir - Anthony DOERR

Toute la lumière que nous ne pouvons voir : une aveugle ; un soldat allemand et l’Histoire

Toute la lumière que nous ne pouvons voir - Anthony DOERR [ed. Albin Michel]
Nous sommes en 1944 et la ville de Saint-Malo, dernier bastion allemand de la côte ouest, subit les attaques aériennes américaines. Au numéro 4 de la rue Vauborel, une jeune aveugle de seize ans, Marie-Laure Leblanc, se cache, terrorisée, sous son lit, serrant dans son poing une petite maison en bois, arrachée à la maquette préparée avec minutie par son père, génie bricoleur, afin qu’elle puisse se repérer dans la ville. A quelques pas de là, Werner Pfennig, un jeune soldat enrôlé par la Wehrmacht pour échapper à son destin, se réfugie dans une cave dont les murs s’écroulent sur ses habitants. Désormais, nous sommes en 1934 : Marie-Laure devient aveugle, dans le quartier du jardin des Plantes où son père, Daniel Leblanc, est responsable des clefs du musée d’histoire naturelle ; il y fait son éducation, à sa manière si particulière, en lui parlant de minéraux, de mollusques et autres belles inventions de la Nature. Lors d’une visite du musée, Marie-Laure apprend l’existence d’un fabuleux diamant bleu, au coeur rouge flamboyant : l’Océan de Flammes, qui porterait malheur à l’entourage de son propriétaire qui, lui, deviendrait immortel. Werner, de son côté, grandit à l’orphelinat et espère de tout son coeur échapper à la mine qui l’attend, dès ses quinze ans. Heureusement pour lui, il n’a pas le neurone dans le même sabot et devient rapidement un expert en réparation de radio et, plus largement, en mécanique. Aidé par son talent et quelques officiers ayant perçu son potentiel et l’utilisation que l’armée du Führer pourrait en faire, il intègre la prestigieuse école de Heissmeyer… pendant que l’une dévore Jules Verne en braille, l’autre décrypte les transmissions électromagnétiques comme s’il s’agissait d’une recette de cuisine.

(…) dont je désire te parler aujourd’hui, c’est de la mer. Elle a tant de couleurs. Argent à l’aube, verte à midi, bleu foncé le soir. Parfois, elle est presque rouge, ou bien elle prend la nuance des vieilles pièces de monnaie. En ce moment, les nuages passent au-dessus d’elle, et des carrés de lumière se posent un peu partout. Des ribambelles de mouettes y font comme des colliers de perle. Toute la lumière que nous ne pouvons voir - Anthony DOERR

Toute la lumière que nous ne pouvons voir : un roman flamboyant et profondément humain

Toute la lumière que nous ne pouvons voir - Anthony DOERR [ed. Albin Michel]
Depuis tant d’années, j’avais oublié le style inimitable d’Anthony Doerr, dont l’écriture fluctue entre poésie pure et vivacité, nous emportant dans un tourbillon de mots coulant de source, épurés et d’une envoûtante beauté. En quelques pages seulement, Toute la lumière que nous ne pouvons voir m’a rafraichi la mémoire… et décontenancée. Car le dernier roman d’Anthony Doerr est découpé au scalpel : de courts chapitres s’enchaînent, tricotant le destin de ses protagonistes avec virtuosité, ne laissant aucun temps mort. Passé cet instant de flottement où l’on se demande si la poésie sera toujours présente, on est transporté par Toute la lumière que nous ne pouvons voir : le charme opère rapidement et la poésie reprend le dessus, nous ballotant entre un Paris ressemblant à un petit village, une Allemagne industrielle que l’on imagine plombée d’un épais nuage noirâtre et la ville de Saint-Malo, assaillie par les bombes, protégée par ses remparts (ainsi que par ses habitantes à la résistance délurée et espiègle) et bercée par la mer. Au delà de l’Histoire et des clichés, Toute la lumière que nous ne pouvons voir a pris le parti de nous parler des Hommes : Anthony Doerr transcende les nationalités pour évoquer les destins broyés par la guerre, les rêves d’ailleurs et de meilleur, l’étroitesse d’une vie qui ne nous appartient pas toujours. Et c’est l’un des merveilleux atouts de ce roman envoûtant. Le Bien et le Mal cohabitent en chacun, le manichéisme reste lointain (bien que certains clichés ne soient pas forcément épargnés, comme celui du délateur, gras et suintant) et l’humanité prévaut. Autour de Marie-Laure et de Werner, petits brins de paille chahutés par l’Histoire et dont la personnalité est fouillée, toute une galerie de personnages prend place : le père de Marie-Laure, qui veille sur sa fille avec une infinie tendresse ; le grand-oncle Etienne, farfelu et amoché par la première guerre ; madame Manec et son réseau de résistantes babillantes qui changent les panneaux de direction et placent Dinan dans la mer ; Jutta, la soeur lucide, et Frau Elena, qui couve ses orphelins d’un amour dont ils ont été privés trop tôt ; Frank Volkheimer et sa bienveillante vigilance ; Frederik et sa passion pour les oiseaux… tous sont autant de notes colorées qui émaillent Toute la lumière que nous ne pouvons voir, dont la trame principale laisse la part belle à l’imagination (avec Jules Verne et les légendes entourant l’Océan de Flammes), aux histoires minuscules mais croustillantes, et à l’émotion. Un roman magnifique et sensible qui, au delà de la guerre dont le sujet a été maintes fois traité, évoque le libre arbitre, ces choix qui nous poussent à trahir ou à sauver, et nos destins, souvent otages de notre époque. Et oui, se mettre dans la peau d’une aveugle, en sentant un monde d’odeurs et de saveurs, composé de pas et de bouches d’égout, mais également d’auras colorées en fonction des personnalités et des émotions, est une jolie prouesse. Toute la lumière que nous ne pouvons voir est le destin de deux rêveurs dans un monde qui ne leur correspond pas…. et nous sommes nombreux, guerre ou pas, à pouvoir se glisser dans leurs chaussures inconfortables d’inadaptés, trop sensibles à la beauté d’un monde pourtant si cruel. Oh, et pour vous éclairer un peu (juste au cas où !), Toute la lumière que nous ne pouvons voir, le titre, fait donc référence aux ondes radio (et non pas à la cécité de Marie-Laure).

Après qu’elle est retournée se coucher, qu’il a soufflé la bougie, Etienne reste un moment agenouillé près de son propre lit. La silhouette de la Mort parcourt les ruelles, retient sa montre ici et là pour regarder les maisons. Des cornes de feu sur la tête, de la fumée sortant des naseaux, et, dans sa main squelettique, une nouvelle liste d’adresses. Elle contemple d’abord le groupe d’officiers qui descendent de leurs limousines pour entrer au château.
Puis, les chambres éclairées de Claude Guernec, le parfumeur.
Puis, la haute et obscure maison d’Etienne Leblanc.
Passe ton chemin, la Mort. Passe ton chemin. Toute la lumière que nous ne pouvons voir - Anthony DOERR

Les détails du livre

Toute la lumière que nous ne pouvons voir

Auteur : Anthony DOERR
Editeur : Albin Michel
Prix : 23,50 € [15,99 au format Kindle]
Nombre de pages : 600
Parution : 29 avril 2015

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28 juillet 2015

Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!

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. . Caroline D.