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Le maître des illusions : érudit et effarant

[Carozine dévore le roman Le maître des illusions - Donna TARTT]

16 Mai 2014

A force d’escapades, j’en oublierais presque de vous informer de mes lectures, honte sur moi et mes hautement hypothétiques générations à venir ! Mais voici l’article qui vous réconciliera avec moi (si, si) : Le maître des illusions de Donna Tartt (bon, pour bien faire, il faudrait également que je vous parle du dernier T.C Boyle, San Miguel, qui était également une petite beauté à lire, mais chaque chose en son temps, je ne voudrais pas non plus vous ensevelir sous les lectures ! Mais j'essaierai néanmoins de vous en faire part avant d'aller me perdre dans les gorges crétoises). Il s’agit là du premier roman de cette grande dame, qui vient de recevoir le prix Pulitzer pour son dernier roman (Le Chardonneret), et qui a passé huit ans à pondre ce petit chef d’oeuvre qu’est Le maître des illusions et avec lequel Donna Tartt plonge dans ce monde ambigu des universités américaines (mais, finalement, ce qu’elle y décrit est terriblement universel) et en fait craqueler le vernis si propret.

Le maître des illusions : élitisme, arrogance et mensonges

Le maître des illusions - Donna TARTT [Ed. Pocket]
Richard Papen a 28 ans ; marqué à vie par ses années d’université, il replonge dans ses souvenirs lugubres et éblouissants pour revivre le drame ayant forgé sa personnalité. Agé de 19 ans, il débarque de sa Californie natale à l’université de Hampden (dans le Vermont) et s’y recrée une enfance afin d’estomper la morosité de la sienne. Grand amateur de lettres classiques, il se met dans la tête d’intégrer le minuscule groupe d’étudiants chapeautés par l’élitiste et farfelu (mais incroyablement cultivé et intelligent) Julian Morrow. Après une tentative infructueuse, Richard entre dans ce temple du bouillonnement intellectuel et y fait la connaissance de ceux qui le constituent et l’intriguent tant : les jumeaux à la beauté diaphane, Charles et Camilla ; Francis Abernathy, un jeune homme riche et excentrique (ainsi que fortement homosexuel) ; Henry Winter, génie ténébreux, manipulateur et immensément riche ; et, enfin, Edmond Corcoran, dit Bunny, le cancre de ce petit groupe, issu d’une famille fauchée comme les blés (enfin pas tout à fait) mais bien déterminée à vivre sur le dos des autres en gentils parasites accaparant les richesses d’autrui. Emerveillé par ce monde qu’il n’avait pu qu’imaginer jusqu’à présent, Richard évolue au sein du groupe d’amis, qu’il apprend à connaître bien qu’il y perçoive certaines réticences. Les semaines idylliques passent entre week-end à la campagne dans l’immense demeure de Francis, traductions de Platon, promenades dans les paysages glacés du Vermont, l’alcool diluant les soirées étudiantes et la drogue omniprésente. Mais la tragédie sourde et le vernis se fissure.

« Les Grecs étaient différents. Ils avaient la passion de l’ordre et de la symétrie, comme les Romains, mais ils savaient l’idiotie de nier le monde invisible, les anciens dieux. L’émotion, les ténèbres, la barbarie. » Il a levé un moment les yeux au plafond, presque troublé. « Vous rappelez-vous de ce dont nous avons parlé tout à l’heure, comme quoi les choses terribles et sanglantes sont parfois les plus belles ? C’est une idée très grecque, et très profonde. La beauté, c’est la terreur. Ce que nous appelons beau nous fait frémir. Et que pouvait-il y avoir de plus terrifiant et de plus beau, pour des âmes comme celles de Grecs ou les nôtres, que de perdre tout contrôle ? Rejeter un instant les chaînes de l’existence, briser l’accident de notre être mortel ? Le maître des illusions - Donna TARTT

Le maître des illusions : roman vibrant et étourdissant

Le maître des illusions - Donna TARTT
Donna Tartt nous livre une oeuvre magistrale avec Le maître des illusions (dont on apprendra qu’il ne s’agit ni plus ni moins du déjanté Dyonisos qui avait l’incroyable capacité de faire voir le monde tel qu’il n’était pas à ses fidèles) : à la suite du naïf Richard Papen, nous évoluons au sein de ces petits groupes élitistes et arrogants au vernis clinquant… qui ne supporte néanmoins pas que l’on s’y intéresse de trop près. Tout n’y est que vice, manipulation, secrets terribles ; chaque ami ne semble être qu’une projection erronée et Richard se perd régulièrement dans les méandres de ces relations ambiguës et nocives. Le maître des illusions dénoue avec habileté les liens fluctuants de groupe très fermé d’amis si particuliers ; Donna Tartt observe avec intelligence et subtilité ce qui se cache derrière les façades clinquantes que nous affichons et qui s’approche d’un désert en pleine nuit : aride, froid et sombre. Le maître des illusions dévoile l’âme humaine comme peu de romans savent le faire : quels sont les liens tendus entre chaque ami ? Jusqu’où sont-ils prêts à aller pour sauvegarder les apparences ? Parviendront-ils à vivre libres malgré la culpabilité ? Le château de cartes s’écroulera nécessairement mais quels en seront les ravages ? En nous exposant dès les premières pages le meurtre de Bunny, Donna Tartt réduit en cendres le suspens et c’est un coup de génie : au lieu de se demander s’ils iront jusqu’à commettre l’irréparable, Le maître des illusions s’attache à minutieusement mettre en place les personnages et le mystère qui les entoure, à travers le prisme (souvent trompeur) de Richard… Un roman érudit et manipulateur, une initiation terrible qui laisse beaucoup de questionnements sur l’adulte que l’on devient. Bref : un bijou.

Le temps, et les projections répétées ont empreint le souvenir d’une menace que ne possédait pas l’original. J’ai vu les choses se passer très calmement - sans peur, sans pitié, sans rien sauf une sorte de curiosité médusée - de sorte que l’impression de cet événement est gravée de façon indélébile sur mon nerf optique, mais curieusement absente de mon coeur. Le maître des illusions - Donna TARTT

Les détails du livre

Le maître des illusions

Auteur : Donna TARTT
Editeur : Pocket
Prix : 8,40 €
Nombre de pages : 706
Parution : septembre 2012

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Le Maître des
illusions

16 mai 2014

Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!

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. . Caroline D.