Qu'ils y restent : de la BD follement adulte et pourtant tellement jeunesse

Alors que mon regard devrait être rivé aux andouilles boutonneuses qui suent à quelques pas de moi, persuadées que leur avenir se joue maintenant, je me dis qu'il va bien falloir passer le temps (quatre heures, c'est foutrement long) et quoi de mieux pour cela que de vous parler de ma dernière découverte jeunesse ? Hein ? Non parce que regarder les minutes s'égrener est d'un ennui mortel et je n'ai pas de moutons sous la main. (Vu le temps et mes cheveux qui partent dans tous les sens façon caniche royal, j'aurais pu me compter moi-même en train de sauter au-dessus d'une chaise, mais cela aurait perturbé la concentration de mes andouilles et mon coeur aurait également probablement lâché... J'ai le sens de l'absurde et de l'abnégation, mais tout de même) Donc bon. Aujourd'hui, on piétine sur les terres de la BD avec l'album jeunesse Qu'ils y restent, signé Régis Lejong et Pascal Mériaux au scénario, ainsi que Riff Reb's au dessin (talentueux au possible, d'ailleurs).

Qu'ils y restent : quatre points cardinaux pour quatre "super méchants"

Dans les forêts du Nord, le grand méchant loup reste ancré dans l'esprit des gens et les légendes populaires. Craint de tous, il ne sort que pour "remplir son garde-manger". Sauf que les apéritifs à se mettre sous la dent et les plats de résistance ont fondu comme neige au soleil à force d'être dévorés tout crus. Il ne lui reste plus qu'à prendre ses cliques et ses claques, et se faire la malle dans une contrée plus avenante, où il pourra de nouveau dévorer sans compter. À l'Ouest, un ogre terrible vit en altitude et se nourrit de sacrifices proposés par des autochtones terrifiés. "Burritos de muchachos et ensaladas de chicas" se précipitent dans son gosier jusqu'au jour où, oups, il a avalé le dernier. Vous voyez où on en arrive ? Mais oui. Il se fait la belle vers une nouvelle nation à engloutir.

Qu'ils y restent : une BD jeunesse sombre et envoûtante

Un énorme soleil nous sert de boussole pour naviguer entre les quatre points cardinaux et nos quatre monstres égoïstes, infâmes. Avec une langue mélodieuse qui envoute par un soupçon de rimes (qui, lues à voix haute, doivent ajouter au charme musical), Regis Lejong et Pascal Mériaux nous transportent dans les pays hostiles de ces cauchemars ambulants. D'un style plein de mordant et d'humour, Qu'ils y restent nous conte ces rois de ce monde qui engloutissent sans compter, sèment terreur et désolation sur leur passage, dilapident les ressources (humaines) sans s'en apercevoir, ni l'ombre d'un regret. Car les terreurs de l'Est (un vampire blafard) et du Sud (un sorcier à la magie noire et dévastatrice) n'ont rien à envier aux deux premiers. Et, forcément, les quatre despotes, poussés par leur faim ignoble vont finir par se rencontrer, au centre du monde... Pour un combat plutôt inoubliable et réjouissant. Au final ? Il ne restera que des cauchemars bien enfouis sous terre. Qu'ils y restent. Les illustrations soignées et terrifiantes de Riff Reb's sont affolantes de réalisme et magnifiques. Inspirées par les couleurs, ambiances et légendes des quatre points cardinaux, elles donnent parfaitement vie aux cauchemars de notre enfance. On retrouve un peu le concept de la "ligne claire" rencontrée avec Les aventures de Kaplan et Masson (le tome 2 : Il faut sauver Hitler), poussant Qu'ils y restent à se rapprocher à pas de géants de la BD adulte. Et pourtant parfaitement adaptée aux jeunes lecteurs, avec son rythme rassurant : les quatre despotes suivent la même trame narrative, entraînant un effet de (presque) routine qui peut limiter le côté angoissant de cet album jeunesse. Pascal Mériaux, Regis Lejong et Riff Reb's signent, avec Qu'ils y restent, une fable envoûtante, dont le dénouement devrait tordre le coup aux cauchemars et satisfaire grandement les gremlins terrifiés par ces monstres sanguinaires qui peuplent leurs nuits.