L'infiltré de la Havane : du noir sous les tropiques

[Carozine découvre le roman L'infiltré de la Havane - Nikos MAURICE]

14 Jan. 2016

Carozine lit le roman L'infiltré de la Havane - Nikos MAURICE

Ceux qui avaient fait le voeu de voyager en 2016 seront gâtés : je vous embarque avec moi à destination de Cuba. Rien que cela ! Et pas n’importe quel Cuba, non non. Le Cuba bouillonnant de Batista, juste avant la révolution. Avouez que partir en voyage et remonter dans le temps par la même occasion à de quoi séduire ! Nous remercierons donc Nikos Maurice (et les éditions de la Différence, pendant que nous y sommes) à notre retour, mais, en attendant, nous filons donc entre les pages du roman L’infiltré de La Havane pour un voyage haletant et plutôt passionnant. (L'une des introductions les plus courtes de l'histoire de Carozine, mais 1) je n'ai pas la tête à ça en ce moment et 2) chose incroyablement rare, je sèche complètement ! Une Carozine sans mots serait presque un jour à marquer d'une pierre blanche.)

À l’aube de la révolution, Cuba était un canard décapité : le corps se dandinait encore, s’affolait une dernière fois, mais l’animal était mort. Une société nouvelle s’était engouffrée dans les montagnes, sillonnait La Havane, chaque avenue, chaque ruelle, franchissait les sierras les plus denses ; elle attendait aux tables de jeu du Nacional, du Riviera, dévisageait les goinfres et les jugeait sans mot dire, mais du silence enragé résonnait parfois une détonation. Une piqûre de rappel pour que l’ancienne société n’oublie pas cette chose essentielle : elle était déjà morte, en dépit de la frénésie, de l’insolence (…). L'infiltré de la Havane - Nikos MAURICE

L'infiltré de la Havane : des révolutionnaires cubains et un Américain (pas si) paumé

Livre : L'infiltré de la Havane - Nikos MAURICE — L'infiltré de la Havane - Nikos MAURICE [ed. la Différence]

Nous sommes en 1958 et Mortimer Thompson moisit dans son bureau décrépi de détective privé en attendant d’éventuels clients, qui se sont fait la malle pendant qu’il séjournait en prison (petit problème administratif à une époque où les Etats-Unis ne rigolaient pas avec le communisme et où refuser de dénoncer un collègue cubain un peu trop rouge vous affichait directement sur la liste noire de la Commission des activités anti-américaines)… de même que sa non fiancée, d’ailleurs. Mais par une morne journée où les factures alcooliques continuent de s’empiler, un client pointe le bout de son nez : Alfredo Jiménez. Cubain de son état et révolutionnaire activiste (doublé de professeur à l’université de La Havane), il cherche à protéger son fils, Jorge Jiménez, qui a repris la tête de leur Comité révolutionnaire après l’étrange disparition du précédent secrétaire général. La tête de Jorge serait-elle également en danger ? C’est ce que Mortimer Thompson cherchera à découvrir, en infiltrant le Comité depuis La Havane, où il séjournera chez Alfredo et Jorge Jiménez.

Je m’en étais toujours sorti. À trente-quatre ans, on m’avait déjà massé les côtes à coup de pelle, balancé dans le Mississippi, fracturé le crâne avec une trompette, dénoncé, calomnié, envoyé en prison, éjecté de prison, plongé dans toutes sortes de marécages familiaux où l’inceste et l’homicide étaient souvent des algues entremêlées. J’avais dû perdre beaucoup de neurones et d’illusions ces dix dernières années, mais je m’étais habitué à la fange ; dès qu’une affaire s’annonçait, je fonçais, tête baissée, ne craignant plus ni la vue ni le goût de mon propre sang. L'infiltré de la Havane - Nikos MAURICE

L'infiltré de la Havane : un roman foisonnant et bouillonnant

Roman : L'infiltré de la Havane - Nikos MAURICE — L'infiltré de la Havane - Nikos MAURICE [ed. la Différence]

Je ne me fichais pas de vous quand je vous ai parlé d’un voyage à Cuba : avec un réalisme incroyable et une précision digne d’une mouche omnisciente, Nikos Maurice nous dépeint La Havane de ces années effervescentes pré-Castro. Tout y est : les rues bondées et colorées ; la chaleur moite et l’atmosphère parfois suffocante ; les appartements aux fenêtres ouvertes sur la rue ; les cocktails rafraîchissants et le rhum qui embrume ; la mafia qui gère les casinos et les Etats-Unis qui cherchent un profit et une influence politique ; les groupuscules révolutionnaires et la police politique qui enlève les opposants au régime de Batista en pleine rue ; les femmes sulfureuses et les chemises qui suintent de transpiration… L’infiltré de La Havane est un condensé de Cuba que l’on sent palpiter entre chaque page. Nikos Maurice retranscrit parfaitement l’ambiance trépidante qui habite La Havane en cette veille de révolution, les enjeux politiques et les guerres de pouvoir. L’infiltré de La Havane est un roman qui palpite, porté par un anti-héros attachant, bourré d’humour et un poil caustique. Si on y ajoute une galerie de personnages attachants, parfois loufoques, et des situations rocambolesques à la limite de la cocasserie, L’infiltré de La Havane prend alors toute son ampleur pour devenir un roman noir intense, bouillonnant, qui capte à merveille un état d’esprit, une époque frénétique, une atmosphère électrique. J’ai aimé être plongée au coeur de la révolution cubaine, bien avant qu’elle ne se réalise, ces relations troubles entre Etats-Unis et gouvernement cubain, le tout étant rendu parfaitement digeste par une écriture fluide et enlevée, une bonne rasade d’humour, une intrigue rondement menée et un certain sens du rythme dosant parfaitement psychologie, description, (cours sur le marxisme) et action.

Si une révolution approchait, rien dans l’atmosphère n’en laissait échapper le parfum. Les trottoirs étaient encombrés de jeunes gens à l’allure épanouie, de travailleurs sur le chemin de leur cantine préférée. Ça klaxonnait, ça parlait fort, les robes étaient vives comme les filles qui les portaient. Pas d’odeur de poudre, pas de figures résignées : il faisait beau. Ce n’est qu’en approchant du Capitole que je repérai pour la première fois les véhicules vert-olive du SIM. Je commençais aussi à remarquer la présence de types gominés en costume blanc qui ne faisaient même pas semblant de lire un journal. L'infiltré de la Havane - Nikos MAURICE