Barnabé ou la vie en l’air : un roman jeunesse facétieux et sensible
[Carozine découvre le roman jeunesse Barnabé ou la vie en l'air - John BOYNE]26 Nov. 2014
Poursuivons cette semaine riche en événements (et non, je ne parle pas de la Sainte Catherine et de ses chapeaux jaunes et verts mais bien de mon précédent article sur l'app iPhone D-Cubes qui dépote comme il faut) avec un roman jeunesse sensible et poétique, une très belle découverte à glisser sous le sapin de Noël des bambins (du moins s’ils ont plus de neuf ans ; je doute qu'ils parviennent à comprendre toute l'ampleur de l'ironie et de l'humour un brin corrosif s'ils sont plus jeunes... oui car ma phrase préférée du roman reste : "si j'ai envie de me cultiver, je mets masterchef comme tous les gens normaux", avouez que c'est beau, je ne m'en lasse pas !) : Barnabé ou la vie en l’air, de John Boyne et que les éditions Gallimard Jeunesse ont agrémenté des illustrations facétieuses (il n’en fallait pas moins pour rivaliser avec l’esprit farfelu du roman et il faut bien dire que l'illustrateur s'en sort à merveille) d’Oliver Jeffers. Dans la même veine que Le petit Nicolas ou le déjanté Charlie et la chocolaterie, John Boyne et Oliver Jeffers s’amusent à déboulonner le mythe très surfait de la normalité. Moutons s'abstenir !
Barnabé ou la vie en l’air : un petit garçon défie les lois de la gravité pour notre plus grand bonheur
Dans la famille Chevreau, tout est absolument normal. Alistair, le père, est un homme normal ayant une activité professionnelle normale et proprement barbante : avocat ès testament au sein de l’entreprise Flûte et Zut. La mère, Eleonore, n’est pas en reste sur la question de la normalité et occupe un métier tout aussi ennuyeux qu’elle : avocate spécialiste en immobilier… vous l’aurez deviné, bien évidemment, chez Flûte et Zut. Pour le reste de la famille Chevreau, je demande successivement, et par ordre d’apparition, le fils aîné, Henri, destiné à être un avocat tout aussi soporifique que ses parents et sur lequel l’instituteur ne trouve rien à dire (mais, si j’étais mauvaise langue, je laisserais entendre que, peut-être, il n’avait pas même remarqué sa présence avant l’arrivée intempestive et probablement silencieuse des parents dans sa salle de classe), Mélanie (la petite soeur) et Charles Dickens (le chien). Par un vendredi, à minuit pétantes, ce qui est des plus grossiers car l’on prive ainsi l’équipe soignante d’une bonne nuit de sommeil, le dernier rejeton venant compléter la famille Chevreau voit le jour : Barnabé. Petit souci, Barnabé, à peine né, se trouve collé au plafond. Et pour cause, il ne connait pas les lois de la gravité. Voilà qui est fâcheux pour la famille normale que sont les Chevreau. Honteux, les parents promènent Barnabé attaché à une ficelle, tel un cerf-volant, planqués derrière d’immenses lunettes de soleil et l’inscrivent à l’Ecole irritante pour enfants non désirés. Manque de chance pour les Chevreau père et mère, l’école prend feu et Barnabé se retrouve donc dans une école normale, où il focalise toute l’attention. Après une sortie sur le pont de Sydney où il attire le flash de quelques journalistes, Barnabé finit par être la cerise sur le McDo qui fait déborder le vase : ses parents l’abandonnent et le laissent négligemment flotter dans le ciel, sans chercher à le retenir. Les aventures de Barnabé peuvent commencer, tandis qu’il est repêché par une épuisette à bord d’une montgolfière…
Pendant un certain temps, Eleonore avait pris l’habitude de l’attacher à la corde à linge à l’arrière de la maison, le laissant à l’air libre quelques heures. Lorsque le vent soufflait, Barnabé tourbillonnait comme une toupie tout l’après-midi et prenait des couleurs. Mais Eleonore dut mettre un terme à cette pratique en raison des somptueuses mangeoires à oiseaux dispersées dans tout le jardin. Un petit garçon de quatre ans attaché par les chevilles à une corde à linge et qui agitait des bras en tous sens ressemblait davantage à un épouvantail qu’à autre chose, et les oiseaux avaient cessé de venir. Barnabé ou la vie en l'air - John BOYNE
Barnabé ou la vie en l’air : un conte poétique, sensible et malicieux
John boyne, avec Barnabé ou la vie en l’air, signe un roman jeunesse facétieux et sensible. Ses personnages sont attachants et plus complexes qu’il n’y parait : le désir de normalité des parents Chevreau s’enracine dans un passé sous les projecteurs et imposé par des parents obnubilés par la réussite et l’envie de sortir du lot ; les deux aînés Chevreau sont loin d’être aussi normaux que leurs parents ne veulent bien le croire et font preuve d’une imagination plutôt débridée ; les personnalités hautes en couleur que Barnabé croisera sur son chemin, dans sa tentative de rentrer au bercail, sont travaillés et possèdent une psychologie fine. Car sous sa plume facétieuse et débordant d’humour, Barnabé ou la vie en l’air est avant tout une critique du bien-pensant et se joue des moutons trop contents de rentrer dans le moule gentiment préparé par la société. Barnabé rencontre une galerie de personnages ayant décidé de vivre leur propre vie et d’adopter un chemin à mille lieues de celui tracé par leurs parents, mais nettement plus compatible avec ce qu'ils sont. Barnabé ou la vie en l’air est une fable insolente, souvent hilarante et incongrue, débordant de trouvailles farfelues et d’humour, mais non dénuée de sensibilité et de tendresse. On y retrouve (impression d’ailleurs renforcée par les illustrations d’Oliver Jeffers) un je-ne-sais-quoi du duo Sempé /Goscinny et de Roald Dahl… Barnabé ou la vie en l’air est une réussite, un conte ravissant à offrir sans modération.
Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!
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