Indulgences : intrigues et passion sur fond de Réforme

Voici un article que je devais pondre lundi mais le temps m’a quelque peu filé entre les doigts. Aujourd’hui, je vais donc vous parler d’un roman historique : Indulgences, signé Jean-Pierre Bours. Les éditions HC ont eu la bonté de m’en faire parvenir un exemplaire à la sortie du livre, et je les en remercie bien bas. Indulgences installe sa trame dans une Allemagne à l’aube de la Renaissance, agitée par les épidémies de lèpre ou de peste et les révoltes de paysans saturés d’être des vaches à lait… pour simplifier les choses. Loin d’aller jusqu’à rejoindre l’avis d’Amélie Nothomb qui considère Indulgences comme un roman « très impressionnant (…) vraiment brillant », je dois avouer que Jean-Pierre Bours est parvenu à retenir mon attention, à m’emporter jusqu’à la dernière page et à faire revivre avec vivacité cette période historique parfois méconnue que sont les frémissements de la Renaissance. Indulgences est une fresque historique érudite et fluide, qui transporte le lecteur.

Indulgences : une sorcière ; une enfant à la beauté radieuse et des complots

1500. Par une sombre nuit, une femme d’une beauté étourdissante cours à travers la forêt pour tenter d’échapper aux fourches et aux foudres des hommes qui la poursuivent. Elle tient un enfant dans ses bras et, dans un sursaut de lucidité, l’abandonne au pied de l’autel d’une église, chaudement entortillé dans ses vêtements… avant de trouver refuge dans une grange que lui indique un homme aux yeux étranges. Malheureusement, il s’agit d’un piège : rapidement, les hommes s’emparent d’elle et la conduisent à Magdebourg, où elle doit être jugée pour sorcellerie devant un tribunal civil. Elle sera jetée dans un cachot et n’aura pour compagnie qu’une toute jeune fille amaigrie et effrayée, elle aussi accusée d’hérésie. 1514. Une fillette curieuse et pétillante nommée Margarete (mais surnommée Gretchen, ce qui m’arrange bien pour écrire la suite de ce résumé) grandit sereinement au sein de sa famille, semble collectionner les punitions parentales, et se lie d’amitié avec Freia, la sage-femme du village. Nous la retrouvons deux ans plus tard, jeune femme dont la beauté attire les regards et éveille l’envie féroce d’un soldat aux dents longues, Ludwig. Refusant de l’épouser, Gretchen, qui vient d’apprendre qu’elle est une enfant recueillie, est bien déterminée à vivre sa vie comme elle l’entend, faisant la sourde oreille aux menaces du jeune homme. Quelques années plus tard, elle s’installe à Wittenberg avec Freia, hébergée par un imprimeur… elle ne tardera pas à briller sur la petite ville, à devenir un modèle de Vierge pour un peintre en pleine ascension, tandis que sa soeur choisit la voie de la luxure.

L’enfant sous le bras, elle se mit à gravir à grands pas le chemin empierré, encore indistinct, qui lui ouvrait la voie vers la forêt. Dans la brume, derrière elle, le village s’était estompé. Tout s’était déroulé si rapidement. La nuit sans lune, une fièvre irraisonnée, le sommeil intermittent, puis les premiers bruits. « Ils arrivent. » Une voix, en elle. « Mais qui ? » A travers l’étroite fenêtre, entre les grands arbres agités par le vent, elle avait vu bouger des ombres. Indulgences - Jean-Pierre BOURS

Indulgences : un roman qui mérite que l’on s’y attarde

Portant le nom de ces faveurs que les paysans achetaient à prix d’or auprès du clergé dans le vain espoir d’accéder au paradis plus facilement et ce, grâce à la garantie du pape lui-même, Indulgences plante son action dans une Allemagne en effervescence où l’humanisme se fraie un chemin dans les esprits, où Martin Luther ébranle les dogmes et où la lèpre fait des ravages. Avec habileté, Jean-Pierre Bours fait se côtoyer personnages historiques et fictifs, sur lesquels plane l’ombre de Méphistophélès. Dans le roman Indulgences, nous croisons donc Martin Luther et son visage émacié, une femme ayant à payer le prix de sa beauté mais n’ayant pas vraiment la langue dans sa poche, un mystérieux docteur Faust dont les méthodes à mille lieues des traditionnelles saignées lui valent une réputation sulfureuse (et qui est donc un personnage réel, le docteur Johann Faust), un militaire féroce et sauvage, un peintre de renom (Lucas Cranach) ou encore un imprimeur s’offusquant des italiques… Indulgences est un roman foisonnant, véritable fresque historique, construit sur l’alternance entre Eva Mathis et sa fille, Gretchen (ce n’est pas vraiment un secret que je vous dévoile, là, pas de panique, on s’en doute dès les premières pages), une trame classique en soi (dans laquelle l’un des sbires de Satan met néanmoins son grain de sel) mais desservie par des personnages aux tempéraments bien marqués et éloignés de tout manichéisme, des femmes aux volontés farouches et une écriture fluide. Le bémol, encore une fois, reste dans la crudité de certaines scènes. Il n’en reste pas moins qu’Indulgences est un roman historique à découvrir et qui vous fera passer un agréable moment, une jolie fresque romanesque, cultivée et intelligente.

Les autres paysans qui avaient été faits prisonniers par l’intendent Wolfram furent libérés. On leur avait tranché la main droite. Un hiver précoce sévissait. Le ciel entier semblait se déverser sur la terre. Il pleuvait tellement que les chemins s’étaient mués en ruisseaux et les champs en arène de boue. Les maisons s’étaient acagnardées sous une brume épaisse, qui effaçait les paysages et rendait l’univers indistinct. Indulgences - Jean-Pierre BOURS