Virginia Wolf : qui a peur du loup tapi dans l’ombre ?

Lundi pluvieux, lundi heureux ? Pour bien commencer la semaine, je vous propose de plonger dans un album illustré absolument merveilleux : Virginia Wolf, de Kyo Maclear (au texte) et Isabelle Arsenault (au dessin)… ou comment une auteure canadienne (anglophone) réussit à capter avec sensibilité la délicate relation nouée entre Virginia Woolf et sa soeur, Vanessa Bell. Dès leur plus tendre enfance, dans une fratrie de huit où l’éducation des filles est un peu laissée à la va-comme-j’te-pousse, les rôles de l’une et l’autre sont rapidement distribués : Virginia, à l’intelligence fulgurante, s’oriente vers l’écriture et Vanessa, moins cérébrale, se laisse guider par ses doigts et la peinture. Toute leur vie, les deux soeurs n’auront de cesse de se soutenir, se jalouser, s’admirer et s’aimer profondément… et le ravissant album illustré Virginia Wolf dresse un joli portrait de ces deux soeurs si proches et pourtant si différentes.

Virginia Wolf : côté lune et côté soleil

Par un étrange matin, la soeur de Vanessa, Virginia, se réveille en grognant comme un loup et avec des attitudes saugrenues : elle hurle à la mort devant la robe jaune citron de Vanessa (qui est pourtant sa robe préférée !), fait fuir ses amis venus goûter et refuse catégoriquement que sa soeur dessine son portrait… Rien ne tourne rond. Et Virginia devenue Wolf fait sombrer toute la maison dans son chaos intérieur, transforme la joie en chagrin. A la question de Vanessa, inquiète, lui demandant ce qu’elle aimerait plus que tout au monde, Virginia Wolf répond qu’elle voudrait voler vers un lieu parfait, plein de sucreries délicieuses et loin des soucis du monde. Bloomsberry. Manque de chance, Vanessa a beau scruter l’atlas sous tous les angles, elle ne trouve pas cet endroit. Mais ce n’est pas grave. Elle décide alors de créer Bloomsberry de toute pièce, avec sa peinture et ses doigts de fée. Elle fait naître les feuillages en forme de sucette, les gâteaux onctueux et les prairies verdoyantes… et la magie opère.

Virginia Wolf : un album illustré délicat pour une belle relation

Avec sensibilité, Kyo Maclear évoque la relation indéfectible qui unit les deux soeurs, Virginia Woolf et Vanessa Bell… et, avec un clin d’oeil espiègle, aborde l’épineuse question du trouble bipolaire dont souffrait Virginia : la dépression qui rôde la transforme en loup, lui fait perdre le goût des choses et n’épargne pas son entourage. La transformation en Virginia Wolf est une belle métaphore des états dépressifs dans lesquels Virginia sombrait chroniquement. Et l’arrivée lumineuse de sa soeur Vanessa, qui tente de l’aider avec patience et une infinie douceur, est un joli résumé de ce tandem : Vanessa Bell fut la face solaire et Virgnia Wo(o)lf, la face lunaire. Le texte de Kyo Maclear est ainsi parsemé de références à la vie des deux soeurs (notamment avec le pays imaginaire de Bloomsberry, référence non déguisée au cercle littéraire et artistique fondé par Virginia et Vanessa à la mort de leurs parents). Portée par des illustrations délicates, oscillant entre ombre et lumière avant d’exploser de couleurs (les dessins d’Isabelle Arsenault nous charment immédiatement !), Virginia Wolf est une belle histoire, sensible et intelligente avec deux niveaux de lecture : pour les adultes avec la version bipolaire et le pouvoir salvateur de l’art ; pour les enfants, avec cette histoire, plus simple, d’une fillette furieuse se transformant en loup tyrannique. Une fable ravissante dont les enfants devraient se souvenir une fois qu’ils plongeront leur nez plus grand dans les oeuvres de cette grande romancière.