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Une saison de nuits (qui finalement pourrait rimer avec une vie d’ennui)

[Carozine découvre le roman Une saison de nuits - Joan DIDION]

18 Juin 2014

Bon. La tâche en ce mercredi matin ensoleillé est ardue. Evidemment, entamer un article par « bon » n’est jamais de bon augure, certes. Il s’agit donc de vous parler d'Une saison de nuits, qui n’est autre que le tout premier roman de Joan Didion. Pour ceux qui ne la connaissent pas encore, Joan Didion est l’une des grandes figures littéraires américaines. Sauf que son premier roman est loin de m’avoir emballée (et quand on a fait la demande du livre auprès de l’éditeur, c’est toujours embarrassant). Figurez-vous que, par une chaude nuit d’été et après une soirée un brin alcoolisée, un mari cocu (Everett McClellan, que l’on avait plutôt perçu potache, mais finalement pas tant que cela) assassine l’amant de sa femme (Lily Knight). Un fait divers anodin. Mais Joan Didion en tire un roman à travers lequel fleure l’Amérique et la fin de ses rêves. Nous sommes en 1960 quand le drame fait irruption dans le jardin de Lily. Mais comment fut la vie de ce couple pour en arriver là ? Intéressante question ! Et c’est d’ailleurs là que réside le coeur du roman Une saison de nuits.

(…) un échec définitif pour lui-même, un homme qui aimait croire avoir perdu un brillant avenir, un homme qui possédait le ratio normal entre noblesse et vénalité, et peut-être un talent exceptionnel pour s’illusionner, et juste ça (mais on ne sait jamais avec ces choses-là, on ne sait jamais qui reste plein d’illusions à quatre heures du matin), un homme bon mais peut-être pas assez bon, pas assez souvent, pour beaucoup importer au bout du compte. Quand tu sais cela tu sais quelque chose sur toi, mais tu ne le savais pas alors. Une saison de nuits - Joan DIDION

Une saison de nuits : ennui, tromperie et illusions perdues (ce qui ne rime plus…)

Une saison de nuits - Joan DIDION [Ed. Grasset]
Nous plongeons donc dans le passé de ce couple à la dérive : Lily Knight est une jeune fille vive et jolie qui s’ennuie profondément ; par une belle matinée, un jeune homme (Everett) un peu gauche et trop poli lui fait la cour… il n’en faut pas moins pour convaincre Lily de se marier. Quelques jours plus tard, pendant leur (court) voyage de noces, Lily est terrassée par l’idée suivante : mais que pensera papa de tout cela ? Car Lily est la fille d’un papa franchement fascinant. Pour ceux qui sont endormis, je précise ici qu’il s’agit là du coeur du drame : Lily et Everett sont tous deux les rejetons de parents charismatiques ; ils sont des enfants de pionniers (et le portrait du père d’Everett vaut son pesant de cacahuètes). Mais que leur reste-t-il après ces rêves de conquête et ces vies à fertiliser des terres désertes pour y créer la civilisation ? De la poussière. Et de l’ennui à revendre. Avec deux enfants et un mari trop sages, Lily Knight parvient à tromper son ennui et à se convaincre de son rôle de femme (presque) accomplie ; mais le départ d’Everett pour l’armée fera resurgir le manque. Ni une ni deux, Lily Knight prend un amant. Puis d’autres. Et, entre les pages d’Une saison de nuits, c’est la désintégration d’un couple qui filtre, les non-dits, les trahisons et les incompréhensions. Chacun semble plongé dans son monde, incapable d’appréhender l’autre. Sauf Martha, la soeur d’Everett, mais cette aptitude à capter l’essence des autres la conduira à sa perte. Avec Une saison de nuits, on revit les fêtes grandioses imprimées de la sueur de l’été bouillonnant, où chacun porte son masque à la perfection. Joan Didion signe un premier roman lyrique, d’une écriture ciselée ; un roman où percent le désenchantement et la difficile survie quand nos illusions se brisent. Le thème est vaste et porteur mais, pour moi, Joan Didion, avec Une saison de nuits, retranscrit un peu trop bien l’ennui profond qui habite Lily Knight. Il lui manque une verve épique à la Autant en emporte le vent (quitte à comparer avec une héroïne qui s’ennuie passablement ; mais remettons les choses en place : je suis de ces lectrices qui ont besoin d'être emportées par le flot de l'écriture, qui ont besoin de bouillonnement). Restent la douce désillusion et la gracilité des personnages féminins qui font la force de ce premier roman.

Un peu avant midi, elle avait dit à Everett qu’elle l’épouserait, et courut ensuite à la maison changer sa robe pour le déjeuner. Cela semblait aussi inévitable que le mûrissement des poires, aussi prédestiné que l’exil de l’Eden. (…) Everett demeurait le défaut dans le grain. Sa présence constante à laquelle elle ne pouvait pas échapper lui pesait, l’empêchait de considérer l’idée qu’elle avait de lui, de polir cette idée en une sorte de fait acceptable. Une saison de nuits - Joan DIDION

Les détails du livre

Une saison de nuits

Auteur : Joan DIDION
Editeur : Grasset
Prix : 20 €
Nombre de pages : 332
Parution : mars 2014

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Une saison de nuits

18 juin 2014

Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!

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. . Caroline D.