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Une constellation de phénomènes vitaux : vie, amour (et jalousie) en temps de guerre

[Carozine dévore le roman Une constellation de phénomènes vitaux - Anthony MARRA]

14 Mars 2016

Carozine lit le roman Une constellation de phénomènes vitaux - Anthony MARRA
Alors que mon neurone est complètement amorphe en ce lundi soir (oui, le retour dans le monde du travail formaté n’est pas simple !), pourtant rayonnant (enfin, là tout de suite, c'est la nuit, mais bon), je vais tenter de vous parler d’un roman dans lequel j’ai pourtant eu beaucoup de mal à me plonger (en plus !) : le second roman de la sélection du mois de mars pour le jury Le Livre de Poche Littérature, qui n’est autre qu’Une constellation de phénomènes vitaux, d’Anthony Marra. Vous ne connaissez pas ? Normal. Il s’agit là du premier roman pondu par le monsieur, Américain de son état, je dirais même Californien si je voulais chipoter… et, semble-t-il, Anthony Marra a frappé fort avec Une constellation de phénomènes vitaux, car il a été encensé par la critique. Verdict ? Oui, mais non. Vous allez me faire le plaisir de lire jusqu’à la fin cette ravissante et exquise chronique. Non mais des fois.

Le lendemain matin, après que les Russes eurent brûlé dans la nuit sa maison et emmené son père, Havaa rêva d'anémones de mer. Pendant que la fillette s'habillait, Akhmed, qui n'avait pas dormi du tout, marchait de long en large devant le seuil de la chambre à coucher, en regardant le ciel qui pâlissait derrière la fenêtre. Jamais encore le lever du soleil ne lui avait semblé être de si sinistre augure. Quand Havaa sortit enfin de la chambre, paraissant bien plus âgée que ses huit ans, il lui prit sa valise et marcha vers la porte d'entrée. La petite lui emboita le pas. Il ne releva les yeux qu'une fois arrivé au milieu de la rue, devant des décombres de la maison. Une constellation de phénomènes vitaux - Anthony MARRA

Une constellation de phénomènes vitaux : la Tchétchénie, les Russes et un faisceau de personnages perdus entre les deux

Une constellation de phénomènes vitaux - Anthony MARRA [ed. Le Livre de Poche]
Nous sommes en 2004, en Tchétchénie, dans le petit village d’Eldár, et la toute jeune Havaa assiste à l’enlèvement de son père (Dokka) par les troupes fédérales russes. Impuissante, elle se laisse emporter par leur voisin, Akhmed, qui, impressionné il y a de cela quelques années par les points de suture d’une femme chirurgien opérant à l’hôpital de Volchansk, à quelques kilomètres de là, espère pouvoir lui confier la petite et la mettre à l’abri des tentacules pernicieuses de l’indic local à la solde des Russes, Ramzan. Sofia Andreyevna Rabina (Sonja) s’active seule dans cet hôpital déserté, aux murs effondrés sous le poids des bombes, et occupe ses journées avec l’autre survivante des lieux, une femme qui soliloque et n’a pas la langue dans sa poche, Deshi. Sonja accepte de protéger la petite fille, en échange des bras d’Akhmed, prétendument quatrième meilleur médecin de sa promotion, mais incapable de nommer les os. Et nous sommes également en 1994, époque à laquelle la brillante Sonja abandonne sa ravissante soeur, Natasha, pour poursuivre ses études à Londres, alors que la première guerre opposant les forces tchétchènes aux troupes fédérales russes éclate et fait des ravages. Natasha, qui s’ennuie dans un poste administratif avant de s’oublier entre les draps d’un caïd local et d’espérer rejoindre Londres, pour y retrouver sa soeur, se perdra dans les méandres de la guerre. Sonja, elle, fuira Londres dans l’espoir de revoir sa soeur. Mais ne serions-nous pas déjà en 1996 ?

Même si, de l'avis général, sa première journée avait été pitoyable, Akhmed quitta l'Hôpital n°6 d'un pas léger, les yeux dans les étoiles. D'accord, Sonja était froide et implacable —d'un regard, elle pouvait faire flétrir les fleurs ou provoquer des fausses couches ! Quant à Deshi, c'était une folle patentée. D'évidence, il n'y avait pas une once de compassion chez ces deux femmes et rien n'était plus terrible que de les avoir comme collègues —même comme gardiennes d'immeuble c'eût été moins pire !—, mais Akhmed était content de sa journée : Havaa était en sécurité. Une constellation de phénomènes vitaux - Anthony MARRA

Une constellation de phénomènes vitaux : une fresque historique et romanesque, qui lève le voile sur un conflit méconnu

Une constellation de phénomènes vitaux - Anthony MARRA
Très franchement, je n’avais suivi que d’un regard distrait les conflits opposant la Russie à la Tchétchénie : Une constellation de phénomènes vitaux fut un excellent moyen de raviver les souvenirs et de compléter les bribes. Anthony Marra a fait un merveilleux travail de recherche, qu’il nous retranscrit entre les (nombreuses) pages d’Une constellation de phénomènes vitaux. Parfois de manière un peu trop brute, mais bon. Le coeur y est. Et le contexte géopolitique est loin d’être des plus simples : entre un Staline accusant les Tchétchènes d’avoir été trop proches de l’Allemagne nazie et désireux de s’en débarrasser en les envoyant au Kazakhstan afin de repeupler les vertes prairies tchétchènes de Russes, des groupes rebelles wahhabites semant le chaos et des Tchétchènes tenant à leur indépendance, d’autant que l’éradication des élites (et donc des économistes) voulue par Staline éloignait également les ressources naturelles en gaz et en pétrole du grand état russe. Bref. De ce plat de spaghetti, Anthony Marra sort un roman oscillant entre historique et romanesque. Ces destins croisés lui permettent de remonter les fils du temps, de se jouer des rencontres et des rancoeurs, de tisser le réseau qui unit les personnages gravitant autour de la jeune Havaa. Alors peut-être étais-je mal lunée (ou peut-être est-ce lié à l’écriture souvent nerveuse ?), allez savoir, toujours est-il qu’Une constellation de phénomènes vitaux ne m’a réellement envoutée que dans le dernier tiers : celui où Anthony Marra lève (enfin) le voile, celui où tout se dénoue (ou se renoue, d’ailleurs), celui où Natasha sort de son rôle de fantôme pour prendre consistance et ne plus se limiter à ce personnage vaporeux qui hante Sonja. Les figures tragiques se frôlent et se bousculent, dans ce grand théâtre soumis aux remous de la guerre. Et là, oui, Une constellation de phénomènes vitaux devient un roman puissant et magnifique. Mais voilà… si la construction est habile et maîtrisée, peut-être aurais-je aimé que les âmes se dénudent un peu plus tôt, que les choses soient peut-être plus fluides, pour être véritablement emportée par Une constellation de phénomènes vitaux. Peut-être aurait-il aussi fallu que je n'entame pas ce roman en ayant une ardente envie de dévorer Le sillage de l'oubli, dans le cadre du challenge Gallmeister... Et peut-être donc prendrais-je le temps de le relire plus tranquillement. En attendant, j’admire la prouesse de l’écrivain, sa faculté à s’approprier ces destins brisés pour faire naître l’espoir.

Vie : une constellation de phénomènes vitaux —organisation, irritabilité, mouvement, croissance, reproduction, adaptation.
Même un coup de tonnerre déchirant le ciel n'aurait pu produire un effet plus saisissant. Elle répéta cette définition à son lit défait, à la valise de Havaa toujours fermée, au bureau de l'ancien directeur du service de gériatrie. Jamais elle n'avait biffé un passage dans un dictionnaire, pas une seule fois, mais c'était là, un cercle du même rouge que le stylo qu'elle laissait sur sa table de nuit. Elle avança en titubant dans le couloir, tendant les bras en avant, sans trouver le moindre mur. Une constellation de phénomènes vitaux - Anthony MARRA

Les détails du livre

Une constellation de phénomènes vitaux

Auteur : Anthony MARRA
Traducteur : Dominique DEFERT
Éditeur : Le Livre de Poche
Prix : 8,10 €
Nombre de pages : 546
Parution : janvier 2016

14 mars 2016

Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!

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. . Caroline D.