U4 .Koridwen et .Stéphane : un quatuor coup de poing (rentrée littéraire jeunesse 2015)
[Carozine découvre le roman jeunesse U4 .Koridwen - Yves GREVET ; U4 .Stéphane - Vincent VILLEMINOT]25 Août 2015
A nouveau, il s’agira aujourd’hui d’une chronique un peu particulière pour évoquer le non moins particulier roman U4… ou peut-être devrais-je utiliser un pluriel car le(s) roman(s) U4 sont signés par quatre auteurs, publiés auprès de deux maisons d’édition (Nathan et Syros) : une trame commune pour quatre personnages. Cela avait de quoi m’intriguer ! Cette chronique se partagera donc entre Koridwen (personnalité d’U4 imaginée et écrite par Yves Grevet) et Stéphane (second personnage d’U4 publié aux éditions Nathan et conçu par Vincent Villeminot). Mes fidèles followers de mon (presque) ami bleu l’ont appris il y a quelque temps déjà : j’ai reçu les deux volets U4 consacrés à Koridwen et Stéphane dans un ravissant colis… auquel venait s’intégrer des interviews croisées des quatre auteurs et dont je vais vous retranscrire l’essentiel, histoire de vous donner le cadre de cette aventure littéraire un peu spéciale (et franchement plaisante à lire, d’ailleurs, car on sent, malgré la tension qui imprègne les pages d'U4, que les auteurs se sont diablement amusés dans cette écriture à plusieurs mains indépendantes).
Comme tous les jours, je me suis levée tôt pour nourrir les bêtes. Ce matin, c’était au prix d’un très gros effort. Je n’ai pratiquement pas fermé l’oeil de la nuit. A mesure que le temps s’écoulait, mes pensées devenaient plus sombres et désespérées. Vers quatre ou cinq heures, j’ai débouché la bouteille de poison et je l’ai porté à mes lèvres. Avant de d’avaler la première gorgée, je me suis fixé un ultimatum : « Koridwen, si tu ne trouves pas dans la minute une seule raison de ne pas en finir, bois-le ! » U4 .Koridwen - Yves GREVET
U4 (Koridwen, Stpéhane, Jules et Yannis), la conception :
L’idée de rédiger un roman (ou plutôt une série jeunesse) en commun est venue naturellement aux quatre auteurs : Yves Grevet ; Vincent Villeminot ; Florence Hinckel et Carole Trébor. Si le décor d’un monde post-apocalyptique est apparu comme une évidence, son traitement a été sujet à diverses négociations : il a rapidement été décidé que chaque récit se ferait à la première personne et au présent (ce qui donne, du point du vue d’une lectrice, du moins, une certaine vivacité et un degré d’intensité au style narratif), et que les quatre personnages se rencontreraient. En revanche, chaque personnalité a été imaginée comme l’auteur la ressentait, ce qui n’a probablement pas rendu les choses faciles quand il s’agissait de les faire interagir !
Nous y voilà. J’arrive enfin sous les plus hauts immeubles du quartier de Gerland. La boule que j’ai au ventre, elle me taraude comme un ulcère.
Tu as peur, Stéphane. Peur de ce que tu vas savoir.
J’aperçois la tour P4 et m’arrête, un instant. Le laboratoire où travaillait mon père est plongé dans le noir. Je ferme les yeux, inspire profondément. Il faut continuer, aller voir, faire quelques pas de plus.
Papa. Es-tu parti, es-tu mort ? U4 .Stéphane - Vincent VILLEMINOT
U4 .Koridwen : une Bretonne ; un virus et une aventure
La trame de départ, commune aux quatre volets d’U4 :
Utrecht quatrième génération, U4 de son petit nom, est un virus plutôt coriace qui décime la population depuis le mois d’octobre. 90 % de la population européenne se sont ainsi retrouvés six pieds sous terre et les seuls survivants, étrangement, sont les adolescents. Parmi eux se trouvent quatre joueurs en ligne : Koridwen ; Stéphane ; Jules et Yannis. A force de passer de nombreuses heures devant le jeu Warriors of Time, ils ont atteint le niveau d’Expert. A ce titre, ils reçoivent un étrange message, quelques jours avant l’interruption d’Internet : le maître du jeu, Khronos, leur donne rendez-vous le 24 décembre à minuit afin de remonter le cours du temps et de réécrire le passé…
Ton nom : Koridwen.
C’est à moi que tu dois de t’appeler Koridwen. C’est un rêve qui m’a inspiré ton prénom. Une nuit, j’ai été visitée par la magicienne elle-même, celle que les Gallois appellent Kerridwen (…). Elle prédisait un grand malheur et affirmait que toi, tu pourrais sauver le monde du chaos si on te nommait comme elle. J’ai décidé de l’écouter. Pourtant, je me méfie d’elle car la légende la décrit comme un personnage redoutable. Mais, au moins, c’est une femme libre, indépendante et courageuse. U4 .Koridwen - Yves GREVET
Seule survivante de son hameau, Koridwen doit faire face à la mort de ses parents, aux pillards sans scrupule qui hantent les villages à la recherche de vivres, et au quotidien d’une ferme sans électricité ni eau. Tant bien que mal, elle s’occupe des vaches et y trouve une raison de survivre. Réalisant qu’elle ne parviendra pas à résister seule, elle se décide à aller chercher son cousin Max (un poil handicapé mais loin d’être aussi couillon qu’il n’en donne l’impression) dans l’institution livrée à la non autorité des adolescents où il réside à l’année. Affublée de ce grand gaillard pas tout à fait fini, elle prend la direction de Paris, armée de la pétoire paternelle et dont elle sait déjà bien se servir, d’un étrange coffret de guérisseuse que sa grand-mère lui a légué et dont elle lui livre les secrets par de petites missives, et, évidemment, de sa bétaillère (car la route est longue depuis sa Bretagne natale). Son objectif ? Se rendre au rendez-vous fixé par Khronos et remonter le temps afin d'enrayer la pandémie.
Ce que je pense du volet d’U4 consacré à Koridwen :
Je ne suis normalement (vraiment) pas fan des grosses production littéraires, surtout quand elles sont affublées d’un bandeau « le phénomène de la rentrée littéraire » ; cependant, U4 .Koridwen a été une excellente surprise. Non seulement l’écriture est tout à fait décente et bien adaptée à ce roman flirtant avec la fin du monde mais, surtout, ce volet d’U4 consacré à Koridwen baigne dans les légendes celtiques qui ont parsemé mon enfance et m’ont tant fait rêver. Koridwen a hérité son prénom d’une grand-mère perspicace et persuadée que sa petite fille possédait le don de guérisseuse et était vouée à un grand destin. Pragmatique et ancrée dans la terre ancestrale, Koridwen n’en est pas moins pétrie de ces légendes bretonnes foisonnantes et facétieuses, ouverte au surnaturel. Peu à peu, au gré de ses aventures et rencontres, Koridwen prend de l’ampleur, affirme sa personnalité, prend conscience de son don et de sa force (malgré ses doutes), et assimile l’héritage de sa grand-mère. Yves Grevet en fait un personnage particulièrement attachant, bien qu’un peu distant : systématiquement, Koridwen se protège et calfeutre ses émotions dans une hyperactivité et, bien souvent, l’action prend le pas sur la psychologie. Néanmoins, ce volet d’U4 réalisé par Yves Grevet nous offre un très beau personnage féminin, indépendant et farouche, charismatique et attachant (notamment dans sa très belle relation à Max).
De ce monde dévasté où les adolescents sont livrés à eux-mêmes (et qui se divisent rapidement entre bandes organisées, éléments indépendants luttant pour leur survie et R-Point contrôlés par les militaires) émerge un premier volet bien maîtrisé et envoûtant.
- Je me raccroche aux paroles de ma grand-mère qui m’a dit que j’avais une mission à accomplir, que la vie des hommes dépendait de moi… et que, par conséquent, je n’avais pas le droit de mourir.
Je n’ose pas relever la tête par peur de sentir dans ses yeux de la pitié ou de l’amusement. Elle me parle doucement et je la sens sincère :
- Il y a une semaine, ma vie et celle de Nico auraient pu s’arrêter au milieu d’un stade si tu n’étais pas intervenue. Alors, tu as raison de croire en ta grand-mère. U4 .Koridwen - Yves GREVET
U4 .Stéphane : une Lyonnaise face au virus
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, se cache sous ce prénom masculin et cette masse de cheveux gris une jeune femme qui a hérité de son père virologue et épidémiologiste une certaine capacité d’analyse. Mais alors que le virus U4 ravage la population de la ville et que le monde civilisé part en débandade, Stéphane n’a qu’une seule question en tête : où est passé son père ? Passant entre les mains d’un pillard et potentiel violeur, Stéphane prend la décision d’intégrer l’un des points de ralliement mis en place par l’armée. Elle y découvre une organisation au lourd héritage militaire et comprend rapidement que le jeu des pouvoirs n’est pas aussi limpide : entre Marco, l’Expert de Warriors of Time, qui rêve de s’enfuir après avoir tué un soldat, et Julien, adolescent à la solde des militaires dont les objectifs restent troubles, elle choisit la dissidence et fait la rencontre de Yannis. Les trois adolescents n’ont plus d’autre choix que de monter à Paris où Stéphane espère bien retrouver son père, devenu responsable des opérations.
Le désarroi dans ses yeux ne m’a pas laissé le choix. Je l’accompagne, vers le parc encore plongé dans les ténèbres. Nous passons sous les grands cèdres. Il m’emmène vers le zoo tout en me résumant sa nuit : en dépit des consignes de bouclage, il a suivi hors du R-Point le réfugié qui avait tué Reggie, Yannis. Il l’a aidé à enterrer le corps de Reggie avant d’être surpris au retour par un soldat en combinaison NBC qui patrouillait autour du R-Point. U4 .Stéphane - Vincent VILLEMINOT
Le volume d’U4 rédigé par Vincent Villeminot nous présente une autre facette de ce monde à la dérive : contrairement à Koridwen qui choisit l’indépendance, Stéphane commence ses pérégrinations dans les entrailles d’un R-Point, ce qui nous permet d’avoir une meilleure vision de ces étranges points de ralliement gouvernés par les militaires (dont les objectifs restent, malheureusement, un peu trop obscurs dans ces deux volumes d’U4 : on a du mal à savoir si le confinement des adolescents est uniquement instauré afin de limiter la propagation du virus ou si une raison nettement moins avouable les motive). L’écriture est étrangement similaire au volet sur Koridwen, ce qui m’a un peu surprise mais a le mérite de créer une unité de style, malgré les deux écrivains derrière ces deux personnages. Le personnage de Stéphane m’a un peu moins séduite : son esprit d’analyse la rend implacable ; tiraillée par l’amour, la jalousie, et l’abandon par son père, elle a le chic pour masquer ses sentiments sous des allures réfrigérantes. En revanche, je trouve très amusant d’avoir les différentes facettes des personnages, de voir leur façon d’interagir et leur vision des événements.
Ce que je pense de ces deux premiers volets d’U4 :
J’ai beaucoup aimé la description de ce monde post-apocalyptique avec ces adolescents confrontés au deuil, à la survie, à l’hostilité. La confrontation entre les personnages est très bien maîtrisée bien qu’il s’agisse de quatre plumes différentes, et les personnalités sont travaillées, bien campées (j’ai, évidemment, une nette préférence pour le personnage de Koridwen). En revanche, les deux fins sont un peu surprenantes et m’ont laissée sur ma faim (quel jeu de mots, je sais !), particulièrement le volet d’U4 concernant Koridwen ; par ailleurs, j’aurais bien aimé avoir l’un des deux garçons à découvrir, car je suis assez curieuse de cette autre facette et de voir si l’une des deux fins m’apporte un peu plus de satisfaction. Dans l’ensemble, j’ai bien accroché à ces deux premiers volumes d’U4 qui reste une série jeunesse atypique dans sa conception, bien conçue et bien menée.
Il ne s’est pas dérobé devant la mort pour des motifs rationnels.
Mon père, lui, a quitté Lyon dans les hélicos de l’armée, parce que des millions de survivants avaient besoin de lui, de sa science, de son art. Mais moi, qui suis sa fille, j’aurais tellement voulu qu’il oublie tout pour moi, rien qu’une fois ; qu’il risque tout, pour moi. Sa fille. J’en aurais eu désespérément besoin. U4 .Stéphane - Vincent VILLEMINOT
Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!
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