En haut !

Témoin de la nuit : un sombre déssillement

[Carozine plonge dans le polar Témoin de la nuit - Kishwar DESAI]

6 Déc. 2016

Parmi la sélection de ce mois, pour le jury littéraire, se trouvait, en polar, Témoin de la nuit de Kishwar Desai (illustre inconnue au bataillon de Carozine, mais, en même temps, Témoin de la nuit est son premier roman ; ceci pouvant potentiellement expliquer cela) dont la couverture noire, ornée de jaune doré, s’ornait d’un bandeau rouge vif reprenant la citation d’une critique qui nous mettait au défi de ne pas adorer Témoin de la nuit. C’est tout à fait le genre de défi que j’aime par-dessus tout relever, esprit de contradiction (et un poil de tête à claques... d’aucuns iraient même jusqu’à dire « pénible ») oblige. Kishwar Desai signe un polar poignant, qui, à mon humble avis, vaut plus pour sa critique sociale que pour son intrigue ; nous y voilà donc : de là à dire que j’ai « adoré », il y a plusieurs pas de géant que je ne franchirais pas (quitte à passer pour le bonnet de nuit de service, celle qui ne comprend rien à rien, mais j'assume entièrement). Reste à savoir ce qu'en auront pensé les autres jurées.

Témoin de la nuit : Punjab, traditions et meurtre familial

Témoin de la nuit - Kishwar DESAI [Ed. L'Aube]
Par une sombre nuit, une toute jeune fille de 14 ans est retrouvée attachée (et violée), au sein d’une maison peuplée de 13 cadavres ; Durga est aussitôt emmenée au poste de police. Pensez donc. Une coupable aussi parfaite, ça ne tombe pas du ciel chaque matin et, quand on est aussi ambitieux que le sinistre Ramnath, on compte bien plier l’affaire en deux temps (même pas) trois mouvements. Pas de chance. Une pénible débarque et met son grain de sable dans la jolie mécanique : Simran Singh est une Punjabi ayant fui la contrée natale et l’héritage paternel pour devenir assistante sociale et rester célibataire, au grand dam de sa mère. Non, non, nous ne sommes pas dans l’Angleterre victorienne (à quelques années près, ne chipotons pas) de Jane Austen (Orgueil et Préjugé, bonjour !) mais bien dans l’Inde contemporaine et terriblement actuelle où rien n’est rose bonbon pour les petites filles ayant l’extrême mauvaise idée de naître dans le Punjab.

Essayer d’être une fille n’est pas facile. Dès la naissance, les privilèges sont rares et on ne nous en accorde pas beaucoup d’autre tout au long de la vie. On nous met des robes et des rubans dans les cheveux, des bracelets aux poignets et aux chevilles, on nous enseigne le chant, la danse et la pâtisserie, mais pourquoi ne pas se préoccuper autant de notre vie Intérieure ? La personne Extérieure sait sourire, couper des légumes, s’asseoir en tailleur et dire « namaste ma tante ». Pourtant, la personne Intérieure est toujours en colère, le nez collé à la fenêtre, parce qu’elle rêve d’aller courir avec les garçons. Témoin de la nuit - Kishwar DESAI

Témoin de la nuit : poignant mais surtout pour le décor

Témoin de la nuit - Kishwar DESAI [Ed. L'Aube]
Kishwar Desai alterne, dans son Témoin de la nuit, l’enquête menée par une Simran Singh qui avance en pataugeant entre secrets familiaux, non-dits ou hypocrisie et le journal de Durga, adolescente un peu trop intelligente et n’ayant plus grand chose à apprendre du cynisme de la vie, qui évoque le passé, sa soeur trop belle mystérieusement disparue pour être tombée amoureuse d’un homme également trop beau mais surtout de la mauvaise caste, son père sévère et l’impitoyable grand-mère, sa mère trop faible pour oser prendre une autre place que celle qui lui a été attribuée. Et si l’intrigue de Témoin de la nuit tient en alerte, ce n’est pas tant pour savoir ce qui s’est réellement passé par cette sombre nuit, mais bien pour le passé de cette famille trouble et pourtant si propre sur elle. Et de ce côté-là, Kishwar Desai n’y va pas vraiment avec le dos de la cuillère en argent de grand-mamie. Oh que non. Les ignominies se dévoilent à un rythme effréné (et terrifiant) sous le regard impassible de la population de la ville de Jullundur et, à travers ce drame familial, c’est l’Inde et les traditions ancestrales du Punjab que Témoin de la nuit dépeint avec poigne… et monstruosité. C’est un premier roman sombre et possédé que nous livre Kishwar Desai ; à travers Témoin de la nuit on sent sa révolte contre la situation des femmes qui passent de la gouvernance d’un père (ou d’un frère) à celle d’un époux sans pouvoir émettre le moindre avis, mais également son impuissance. Car, après tout, que peut-on faire face à des familles qui brûlent vives les femmes dont ils jugent la dot trop négligeable (et ce n’est même pas la pire des révélations contenues dans Témoin de la nuit) ? Témoin de la nuit n’est peut-être pas le polar de l’année, mais ses deux héroïnes ne manquent pas de panache et la confrontation au système, à travers deux hommes dont on se méfie telle la peste, est captivante… tout comme le Punjab (et plus globalement l’Inde, qui en est venue à rendre illégale toute échographie destinée à connaître le sexe de l’enfant, afin de donner une chance, au moins de naître, aux petites filles), que l’on ne soupçonnait pas capable de telles exactions. Mais n’attend-on pas, généralement, d’un polar que son intrigue soit plus passionnante que la société qu’il dénonce ?

Mais dans notre maison, on terrifiait celles-ci pour qu’elles acceptent leur position inférieure.
Même une femme instruite comme ma mère, qui était capable de parler du mouvement des suffragettes ou du vote des femmes avec un accent anglais très distingué, avait été contrainte par la violence à se soumettre. Personne n’avait oublié l’époque où elle était absente à chaque repas, où elle restait allongée en silence sur son lit, les yeux tournés vers la fenêtre, en attendant que les cicatrices disparaissent.
Les choses se passaient de cette façon dans la maison hantée, et ça ne changerait jamais. Certes, elle aurait pu s’échapper et tous nous emmener loin d’ici. Mais peut-être que les risques étaient trop grands pour elle.
Elle avait besoin de ce statut d’épouse ; elle n’avait jamais travaillé et était terrifiée à l’idée d’exposer la vérité à tout le monde. Témoin de la nuit - Kishwar DESAI

Les détails du livre

Témoin de la nuit

Auteur : Kishwar DESAI
Editeur : L'Aube
Prix : 18,70 €
Nombre de pages : 228
Parution : septembre 2013.

Acheter le livre


Témoin de la
nuit

27 janvier 2014

Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!

Autres lectures de Carozine : La vieille qui voulait tuer le bon dieu : polar décapant

. . Caroline D.