Sophie et la princesse des loups : roman jeunesse à l'âme russe flamboyante

Toc toc badaboum, that is me… juste avant le départ en week-end et en bord de mer ! Alors, forcément, il fallait bien que je vous parle lecture parce que, vu le temps que la météo nous annonce, c’est le roman idéal à lire au coin du feu dans une maison un peu frisquette… d’autant qu’il vient de sortir au format poche. Que demander de plus ?! Le titre du livre ? Ne bougez pas : Sophie et la princesse des loups, de Cathryn Constable. Une pépite qui flirte avec les romans russes façon Anna Karénine (mettons, néanmoins, les points sur les i non umlautés : Cathryn Constable n'est pas un Léon Tolstoï, hein ! Je ne parle ici que de l'ambiance un brin tsariste et romantique du roman avec les toques en fourrure, les patins à glace en peau de je ne sais quoi et autre thé russe à la confiture, oui oui), mais reste accessible aux jeunes lecteurs, tout en emportant les plus vieux dans un monde féérique et enneigé, bien qu’un poil délabré : parfait, en somme ! Allez, je vous raconte…

- Donne-moi la main, Sophie. Il faut qu’on s’en aille !
C’était la voix de son père. Elle ne le voyait pas mais, curieusement, elle savait qu’il avait les cheveux ébouriffés et qu’il portait comme une aile déchiquetée. Il glissa une main dans la sienne, la serra fort, et ils se mirent à courir ensemble dans la forêt glacée aux teintes argentées. Elle savait où ils allaient. Au même endroit que d’habitude - un endroit sorti des récits, des rêves et des souvenirs de son père. Sophie et la princesse des loups - Cathryn CONSTABLE

Sophie et la princesse des loups : une jeune orpheline et un passé trouble

Dans son pensionnat de jeune fille où elle a été reléguée par une tutrice qui n’avait pas vraiment l’intention de s’encombrer d’une jeune adolescente, Sophie Smith, treize ans, s’ennuie ferme et rêve d’aventure… bien qu’elle soit entourée de deux « colocataires » plutôt sympathiques et attachantes : la blonde et jolie Delphine, enfant riche et gâtée préférant les apparences, la mode et la beauté à tout autre sujet de conversation vs. la brune et binoclarde Marianne, intellectuelle de la bande aux lourdes tendances marmotte. Alors qu’elle se fait remonter les bretelles à cause de son pull troué, Sophie fait la rencontre d’une mystérieuse femme russe qui semble particulièrement intéressée par la jeune fille, au point qu’elle convainc une directrice franchement réticente à inclure Sophie et ses deux amies dans le voyage scolaire prévu à Saint Pétersbourg. Evidemment, les trois filles sont excitées comme des puces, bien que légèrement refroidies par la tempête de neige qui les accueille à l’arrivée. Et quand la mystérieuse femme vient récupérer les trois filles pour les précipiter dans un train et, ensuite, les abandonner sans autre forme de procès, ce n’est que le début d’une avalanche de questions. Sophie, Delphine et Marianne seront jetées hors du train dans une gare désaffectée par le contrôleur, avant d’être transportées par un train luxueux et un Russe à l’accent chantant, Ivan, sur les terres du palais d’hiver des Volkonski. A peine les pieds posés en Russie que Sophie se sent revivre, étrangement elle-même dans cette contrée jusqu’à présent inconnue… malgré les loups blancs qui rodent et semblent protéger la propriété mais qu’elle, étrangement, est la seule à voir.

Elle regarda le parvis bondé. Les hommes portaient des toques en fourrure. Leurs visages, à la lumière des lampadaires, apparaissaient de la couleur de la viande des pâtés en croûte. Les femmes avaient l’air las et dédaigneux dans leurs grands manteaux de fourrure, mais elles paraissaient tellement glamour et exotiques avec leur rouge à lèvres de couleur vive et leur épais trait de crayon noir autour des yeux. De jeunes soldats en capote militaire se promenaient au milieu de la foule, le visage d’une propreté invraisemblable, le regard fatigué. Sophie et la princesse des loups - Cathryn CONSTABLE

Sophie et la princesse des loups : un roman à l’âme russe et envoûtante

Evidemment, les amoureux du sorcier à lunette remarqueront quelques points de ressemblance : Sophie est orpheline, pauvre et mal aimée de sa tutrice qui se contrefiche d’elle comme de sa première couche-culotte. L’héroïne de Cathryn Constable est également entourée d’une intellectuelle et d’une personnalité plus volage, dans un pensionnat où elle n’avait pas particulièrement envie d’atterrir. Cependant, la comparaison s’arrête là. Si la magie est bien présente dans Sophie et la princesse des loups, elle s’apparente plus à l’ambiance du roman qu’à un coup de baguette : une âme russe balaie avec fraicheur et vigueur chaque page de ce roman enneigé. Le palais d’hiver des Volkonski est délabré et porte les traces douloureuses de la révolution de 1917 : le dernier prince Volkonski, Vladimir, a été poursuivi par des révolutionnaires à cheval dans chaque pièce du palais avant d’être fusillé devant son portrait… laissant une chance à sa femme et sa fille, alors nourrisson de rien du tout, de s’enfuir à travers les bois, faisant naître la légende des loups blancs protecteurs qui se seraient alors emparés des révolutionnaires pour en faire un festin. Sur ces terres glacées et riches d’Histoire, Sophie se sent renaître et voit se superposer au paysage enneigé le rêve qui la hante chaque nuit et dans lequel apparait son père. Pourquoi la princesse Anna Feodorovna Volkonskaya porte-t-elle un telle attention à Sophie ? Qu’attend-elle de la jeune fille ? Que sont ces formulaires que la princesse s’est empressée de faire signer à Sophie ? Avec Sophie et la princesse des loups, Cathryn Constable mêle avec agilité romantisme russe, amitié indéfectible, menace sourde et violence brute, héritage familial et quête de soi : une jolie réussite ! Alors, évidemment, le lecteur plus averti sera probablement agacé de voir Sophie tomber dans les pièges que l’on espérait qu’elle éviterait au vu des alertes reçues, mais les jeunes lecteurs (ou lectrices, plutôt ? à partir de 9 ans), eux, devraient être enthousiasmés par ces pages follement enivrantes, ces personnages bien travaillés et mystérieux, cette intrigue fascinante. Car, oui, comme Sophie, on tombe rapidement sous le charme de cette ambiance russe, oscillant entre faste et délabrement, grâce à une écriture fluide et chantante.

Sophie vit que la façade imposante, quoique superbe, était sérieusement abîmée. La peinture se décollait du stuc fissuré. Des fenêtres qui n’avaient plus de vitres depuis longtemps étaient condamnées. Sophie en fut troublée. De près, le palais n’avais plus la même allure. Il évoquait le moment qui précède la fin d’un rêve, quand les choses s’effacent, cédant la place à la réalité. Cela la rendit triste qu’un bâtiment aussi majestueux soit tombé dans un tel état de décrépitude, que ce rêve grandiose ne soit plus qu’une ruine. Sophie et la princesse des loups - Cathryn CONSTABLE