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Rien ne s'oppose à la nuit : une histoire familiale bouleversante

[Critique du roman Rien ne s'oppose à la nuit de Delphine de Vigan]

2 Mai 2012

Carozine lit Rien ne s'oppose à la nuit
Rien ne s'oppose à la nuit... C'est un livre dont le titre laisse songeur et évoque les ténèbres qui enveloppent certains d'entre nous et contre lesquelles nous ne pouvons lutter sans nous épuiser et dont la couverture, sur laquelle une jeune femme d'une incroyable blondeur et indéniablement belle se tient à une table, cigarette à la main, et laisse un sourire flotter sur son visage. La quatrième de couv' (appréciez le jargon !) évoque la famille de l'auteur et les drames qui l'ont frappée, en une sublime phrase :
"Ma famille incarne ce que la joie a de plus bruyant, de plus spectaculaire, l'écho inlassable des morts, et le rentissement des désastres".
En somme, Rien ne s'oppose à la nuit est un livre qui possède tous les arguments pour que je m'arrête devant lui et décide fermement de lui faire prendre place dans ma bibliothèque pourtant déjà bien garnie. Et bien m'en pris. Car Delphine de Vigan m'a redonné goût aux écrivains contemporains français ; ce n'est pas peu dire ! (En témoigne mon aversion pour La liste de mes envies... et ses phrases horriblement courtes qui écorchent les yeux)

Rien ne s'oppose à la nuit : des souvenirs, une oeuvre admirable

Rien ne s'oppose à la nuit - Delphine de Vigan [Ed. JC Lattès]
Comme de nombreux auteurs avant elle, Delphine de Vigan prend la plume (ou plutôt le clavier) pour évoquer sa mère et, en filigrane, la façon dont elle s'est construite à travers cette mère équilibriste si tentée par le vide. Délicatement, avec pudeur, Delphine de Vigan expose et reconstitue les fragments de souvenirs collectés auprès de la fratrie de sa mère, Lucile... tout en dévoilant ses doutes, ses angoisses et sa difficulté à écrire sur un être tant aimé et incompris. Après avoir harcelé les (nombreux) frères et soeurs de sa mère, à la quête de souvenirs et de vérités qu'elle n'obtiendra jamais, Delphine de Vigan retrace la vie de Lucile, cette enfant terriblement belle, adulée par les publicitaires de son époque, pondérée et opposant son mutisme à un monde brutal. Rien ne s'oppose à la nuit se découpe en trois parties comme pour mieux nous faire partager ces trois visions que Delphine de Vigan a de sa mère et qui échappent à toute juxtaposition : l'enfant belle et silencieuse qui ne perd pas une miette des événements... qui deviendra une adolescente fragile et angoissée, terrorisée par un père destructeur ; une mère versatile, bohême, attirée par les ténèbres et se laissant engouffrer par elles ; une grand-mère débordante d'énergie, refusant de se laisser happer par les ombres qu'elle ne cesse d'observer du coin de l'oeil.

Je perçois chaque jour qui passe combien il m'est difficile d'écrire sur ma mère, de la cerner par les mots, combien sa voix me manque. Lucile nous a très peu parlé de son enfance. Lucile ne racontait pas. Aujourd'hui, je me dis que c'était sa manière d'échapper à la mythologie, de refuser la part de fabulation et de reconstruction narrative qu'abritent toutes les familles.Rien ne s'oppose à la nuit, Delphine de Vigan

Rien ne s'oppose à la nuit : sensible et pudique

Delphine de VIGAN, auteur de Rien ne s'oppose à la nuit [(c) D. Jouandeau]
Rien ne s'oppose à la nuit nous parle d'une famille gouvernée par deux personnes charismatiques : Liane, belle et sportive, qui donnera naissance à huit enfants qu'elle vouvoiera toute sa vie ; et Georges, publicitaire farfelu vivant au-dessus de ses moyens, plein de petites phrases caustiques et assassines. Rien ne s'oppose à la nuit évoque cette famille nombreuse marquée par les drames, la bipolarité et les suicides, véritable leitmotiv de la fratrie. Mais Rien ne s'oppose à la nuit, c'est également les étés au soleil dans une maison emplie de rires et de portes qui claquent, l'effervescence d'une famille réunie autour de grandes tablées, les relations si subtiles et délicates qui se tissent entre frères et soeurs. A travers le portrait de sa mère, c'est toute une famille que Delphine de Vigan décrit... en cherchant la faille, ce point de non retour qui fit basculer sa mère dans la nuit, l'origine de cette marque tatouée au poignet de Lucile.

Le regard de Georges sur sa fille semblait empreint d'étonnement. Lucile avait quelque chose de sombre qui lui ressemblait. Depuis qu'elle était toute petite, Lucile l'intriguait. Cette manière qu'elle avait de s'isoler, de s'abstraire (...), d'utiliser le langage avec parcimonie, cette manière, avait-il parfois pensé, de ne pas se compromettre. Mais Lucile, il le savait, ne perdait rien, pas un son, pas une image. Absorbait tout.Rien ne s'oppose à la nuit, Delphine de Vigan

Avec Rien ne s'oppose à la nuit, Delphine de Vigan nous livre une part d'elle-même, mais surtout une part de sa mère, personnage fulgurant et peu conventionnel, qui aura payé bien cher le prix de sa beauté. C'est un livre émouvant, bien écrit, jamais racoleur... beau. J'ai retrouvé beaucoup de moi dans cette Lucile absorbée par ses angoisses, ses doutes et ne sachant jamais vraiment s'intégrer dans un groupe ; Lucile est quelqu'un qui ne se dévoile que dans l'intimité et qui, en étant constamment sur le fil et les yeux rivés au vide, fit preuve d'un incroyable courage tout au long d'une vie semée d'embuches et de désastres, hachée par des phases de folie pure, jusqu'à son point final : "Je préfère mourir vivante." [Rien ne s'oppose à la nuit - Delphine de Vigan]

Lucile avait passé la quarantaine, elle était redevenue une belle femme, gironde, une femme dont le regard continuait d'impressionner, dont on devinait qu'elle avait été plus belle encore, ce n'était pas une question d'âge mais de faille, quiconque rencontrait Lucile pour la première fois percevait à la fois sa beauté et la trace indélébile d'une chute. Lucile avançait sur un fil, gracieuse, un rien provocatrice, sans filet.Rien ne s'oppose à la nuit, Delphine de Vigan

Les détails du livre

Rien ne s'oppose à la nuit

Auteur : Delphine de VIGAN
Editeur : JC Lattès
Prix : 18.34 €
Nombre de pages : 440
Parution : 17 août 2011.

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Rien ne s'oppose
à la nuit

2 mai 2012

Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!

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. . Caroline D.