Petit traité d'horreur fantastique : l'analyse fascinante de la "bit-lit"
[Critique : Petit traité d'horreur fantastique à l'usage des adultes qui soignent des ados - Marion HENDRICKX]10 Mai 2012
Après avoir passé quelques heures à placer des romans sur les rayons jeunesse d'une librairie, il me sauta aux yeux que nos chers adolescents boutonneux et ingrats étaient la cible d'un genre littéraire bien particulier : le roman ado... et parmi ce genre à part entière, il existe une véritable explosion des histoires de vampires, qu'ils scintillent au soleil telle une rivière de diamants ou qu'ils vivent reclus dans un cercueil fleurant bon la moisissure, et autres loups garous. Devons-nous remercier Twilight pour cette montagne de romans d'horreur fantastique ? Pas seulement, nous répond Marion Hendrickx dans son Petit traité d'horreur fantastique, à l'usage des adultes qui soignent des ados. Car l'horreur fantastique est finalement vieille comme le monde, ou presque (car il est difficile de concevoir un ado déchiffrant avidement sur les murs d'une caverne mal éclairée l'histoire d'un monstre sorti tout droit de la falaise pour dévorer le premier ado acnéique passant sous sa main). L'Antiquité possédait déjà son vampire bien connu et craint de tous : Lilitu, qui dévorait les enfants et faisait main basse sur les hommes lui plaisant suffisamment pour les détourner à jamais des mortelles. Petit traité d'horreur fantastique à l'usage des adultes qui soignent des ados fait un large tour d'horizon de tous les personnages parsemant les romans ado (et donc la "bit-lit") et décortique tout ce que les adolescents y puisent pour se construire... fascinant !
Petit traité d'horreur fantastique - Marion HENDRICKX
Face à des ados qui préféraient lui parler des films d'horreur fantastique qu'ils visionnaient en boucle plutôt que des problèmes familiaux qu'ils rencontraient, la psychiatre Marion Hendrickx décida de partir chasser du démon et de déloger les monstres tapis dans notre culture pour les analyser sous toutes les coutures, décoder le lien les unissant aux évolutions de nos ados et expliquant comment les utiliser en thérapie (ce dernier point, forcément, m'a moins captivée, mon objectif prochain n'étant pas de me déclarer psychiatre pour adolescents torturés). Pour faire simple, l'horreur fantastique dont les auteurs abreuvent nos ados n'est autre qu'une continuation de nos contes de fées : la morale y est imposée sous peine de mourir (ne jamais, ô grand jamais, faire l'amour si vous êtes dans un film d'horreur, vous risquez fort de finir décapité !) ; le manichéisme et le mal sont omniprésents. Comme les contes de fées ayant bercé notre enfance, l'horreur fantastique, avec son lot de vampires ou encore de maisons hantées et de monstres difformes, est un moyen de se construire, de faire face aux changements brusques et violents imposés par la puberté, de trouver sa place dans la famille mais également dans la société, de prendre les interdits entre les deux yeux et leur dire fermement de dégager... bref, de développer une conscience en jouant avec des concepts archaïques correspondant aux différents stades de notre développement, depuis la phase de l'utérus maternel jusqu'aux boutons fort peu seyants.
(...) Et c'est finalement aussi ce qui se passe pour leurs héros respectifs, monstres maltraités et hais, envoyés avec si peu d'armes dans le monde des adultes. Ils devront affronter deux menaces principales pour une psyché encore fragile : celles que représentent les modifications corporelles (...) et la prise d'autonomie psychique qu'est la séparation d'avec les parents.Petit traité d'horreur fantastique - Marion HENDRICKX
Petit traité d'horreur fantastique - Marion HENDRICKX
Non seulement Petit traité d'horreur fantastique à l'usage des adultes qui soignent les ados m'aura rendu plus intelligente (ou du moins plus cultivée) en soulignant les liens entre ces créatures nourries de nos angoisses, de nos traumatismes et notre développement de l'enfance à l'adolescence, mais Petit traité d'horreur fantastique est également bien écrit. Le style est agréable ; la pensée concise et facile à suivre, même si l'on ne possède aucune connaissance freudienne. On y apprend, entre autres, que l'impossibilité traditionnelle du vampire de faire face au soleil correspondrait à un refus de naître ; que l'église, en 1414, a reconnu l'existence des loups garous déchaînant ainsi les foules et poussant les plus curieux et les plus sanguinaires à exécuter les prétendus loups garous à la pelle, afin de vérifier si une fourrure était cachée dans leur corps ; que l'horreur fantastique est une sorte de rite initiatique... En somme, Petit traité d'horreur fantastique à l'usage des adultes qui soignent les ados fourmille de choses passionnantes à apprendre, remet les points sur les "i" quant à ce genre littéraire dénigré des adultes et soulève l'intéressante question de la mutation de la société : mais pourquoi diable les vampires, de nos jours, ne meurent-ils plus mais vivent-ils les doigts de pied en éventail en jouissant d'une totale immortalité, sans expiation aucune ?
Présentation par Marion HENDRICKX
Les détails du livre
Petit traité d'horreur fantastique
Auteur : Marion HENDRICKX
Editeur : érès
Prix : 19.00 €
Nombre de pages : 168
Parution : 19 avril 2011.
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Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!
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