Les Borgia : entre rumeurs et réalité historique
[Critique de l'essai historique Les Borgia - Ivan CLOULAS]4 Mars 2012
Famille sulfureuse par excellence, les Borgia attisent les convoitises et alimentent les commérages depuis des siècles. Avec la prolifération des ouvrages sur les Borgia et les séries fraichement débarquées sur nos écrans (dont l'affreusement mal jouée série signée Canal+ où Lucrèce a tout bonnement l'air d'une quiche immaculée), il était plus que temps pour votre chère et tendre rédactrice, j'ai nommé Caro(z)ine (Who else ?, pour ne pas parodier une célèbre marque de café en capsules) de se plonger dans l'Histoire et de renouer avec cette époque grandiose que fut la Renaissance italienne (ce qui, toutefois, est un pléonasme), les luttes de papes tiraillés entre le sacré et la frénésie du pouvoir, l'effervescence d'une Italie en plein changement... Et Les Borgia d'Ivan Cloulas fut le livre idéal pour me plonger avec délice dans l'histoire trépidante et romanesque de cette grande famille au nom aussi réputé que les Médicis... mais aux aventures nettements plus trépidentes ! A la lecture de ce livre historique qu'est Les Borgia d'Ivan Cloulas, on comprend mieux pourquoi cette famille continue d'alimenter les plus folles rumeurs car la réalité y dépasse la fiction.
Les Borgia : arrivistes, tumultueux... tellement fascinants
Ce spécialiste de la renaissance européenne qu'est Ivan Cloulas prend la peine de remonter avant la naissance de Rodrigue Borgia et de nous planter le décor de la famille Borgia, originaire de Valence (en Espagne). Alonso de Borja (ah, les évolutions orthographiques des noms de famille !) place savamment ses pions auprès du roi Alphonse et finit par atterrir, brièvement, au siège épiscopal... Je vous évite les nombreuses pérégrinations de ce brave homme, d'autant que l'on finit par s'y perdre entre toutes les Isabelle ou encore les Francesco Sforza ayant peuplé l'Histoire. Toujours est-il qu'il se trouve propulsé sur le trône suprême sous le nom de Calliste III et qu'il en profite pour lancer la carrière de l'ambitieux et turbulent Rodrigue Borgia, son neveu. "Le cadet des fils, Rodrigue, est un beau garçon à la vive intelligence, aimant la vie et le plaisir. On le dit violent et passionné : le bruit courra qu'à douze ans, il aurait tué à coup de poignard un enfant de son âge, de condition inférieure." [Les Borgia - Ivan Cloulas]. Le ton est donné. Le nom des Borgia ne cessera plus de faire frémir les foules. Grâce à un voyage éclair, nous voilà désormais en 1492 : après des années passées à profiter de la vie en tant que cardinal, Rodrigue Borgia, qui possède un lourd actif en terme de maîtresses (dont Vannozza Cattanei, mère de César, Juan, Lucrèce et Gioffré), décide de mettre toutes les chances de son côté pour enfin régner sur Rome et l'Italie.
Le 11 juin, le pape rappelle à l'ordre le trop entreprenant prélat [Rodrigue Borgia] : Nous avons appris qu'il y a trois jours, plusieurs dames siennoises se sont réunies dans les jardins de Giovanni Bichi et que, peu soucieux de ta dignité, tu es demeuré avec elles l'après-midi [...]. Il nous a été référé qu'on dansa fort peu honnêtement : aucune séduction amoureuse n'a manqué et tu t'es conduit comme l'eût fait un jeune laïque. La décence nous impose de ne pas préciser ce qui advint, chose dont le nom seul est inconvenant à ta dignité ; il fut interdit d'entrer aux maris, pères, frères et autres parents qui avaient accompagné ces jeunes femmes, afin de vous laisser plus libre dans vos divertissements.Les Borgia - Ivan CLOULAS
Les Borgia : une famille intrigante à souhaits
N'ayant cure de souiller le trône papal par d'incroyables corruptions, Rodrigue Borgia enverra des poulets farcis de titres de propriétés aux cardinaux chargés d'élire le nouveau pape, après la mort d'Innocent VIII. Ces petites manigances seront couronnées de succès : Rodrigue Borgia deviendra pape sous le nom d'Alexandre VI et prendra soin de poursuivre allègrement sa vie de débauche, en prenant notamment comme maîtresse officielle la belle Giulia Farnese. Peu à peu, il s'acharnera également à assurer le triomphe de ses enfants. A la plus grande jalousie de César, arbitrairement condamné à suivre les pas de son auguste père, Alexandre VI confie la garde romaine à son cadet, Juan. Le pape s'amusera ensuite à nouer et renier des alliances destinées à lui assurer le contrôle de la péninsule italienne (il mariera sa fille, Lucrèce, et son dernier né, Gioffré, en fonction de ces alliances) ; il cherchera à se protéger des ambitions françaises sur Naples ou des nombreux cardinaux (Orsinni, Sforza et autres Della Rovere) souhaitant le voir chuter. Sous le règne d'Alexandre VI, le népotisme et les scandales seront légion, malgré les remontrances d'un prêtre halluciné mais écouté des foules de Florence : Jérôme Savonarole.
La luxure, encouragée par l'exemple venu de haut, ne connait plus de bornes. Buckard [le fidèle maître des cérémonies] note les cas les plus voyants dans le Sacré Collège. Le cardinal de Segorbe, rongé par la syphilis, est dispensé de s'incliner devant le pape à la fête de Pâques de 1499. [...] L'abdication morale du pape est plus sensible que jamais. Il laisse se répandre des libelles qui nient la vie de l'au-delà. Les seules restrictions à la débauche sont dictées par les impératifs de salubrité publique.Les Borgia - Ivan CLOULAS
Les Borgia : quand la réalité historique dépasse la fiction
Mais passons au plus truculent : César Borgia. Charismatique, beau et terriblement intelligent, il sera le cauchemar de plus d'un homme... en commençant par son frère, qu'il jettera dans le Tibre après l'avoir dûment assassiné. Il en profitera pour se séparer de la pesante tenue de cardinal et s'emparera de la gestion des armées. Il sera amené à rencontrer Machiavel, qui se servira de César comme modèle pour son Prince. César Borgia mènera de grands combats pour apaiser l'Italie et l'asservir au joug papal, il ne s'encombrera d'aucune morale et utilisera allègrement le meurtre pour parvenir à ses fins, notamment quand le nouveau mari de Lucrèce, Alphonse d'Aragon, lui pissera dans la soupe. Et malgré sa réputation sulfureuse, César Borgia électrise les foules qui lui vouent une véritable adoration. La chute n'en sera que plus sévère. Notez au passage que César Borgia a également à son actif une évasion digne d'Edmond Dantès : il s'échappera d'une forteresse espagnole avec seulement quelques égratignures.
Les Borgia d'Ivan Cloulas fouille dans toutes les archives historiques à disposition et tente de faire la lumière sur cette famille Borgia ayant nourri toutes les passions. Mais si les faits sont historiques, ils ne sont jamais soporifiques. La vie des Borgia est absolument romanesque et court d'un rebondissement au suivant et si Lucrèce est, ici, cantonnée à choisir ses robes et conter fleurette à un poète, elle n'en donne pas moins envie d'en connaître plus sur cette femme passionnée n'ayant certainement pas froid aux yeux. Malgré la densité des informations communiquées, Les Borgia d'Ivan Cloulas se lit comme un roman et il est bien difficile de s'en séparer avant la fin !
Les détails du livre
Les Borgia
Auteur : Ivan CLOULAS
Editeur : Fayard /Pluriel
Prix : 10.20 €
Nombre de pages : 544
Parution : 26 octobre 2011.
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Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!
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