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Pension des mondes perdus : la naissance du Timor oriental libre

[Carozine découvre le roman Pension des mondes perdus - Pedro ROSA-MENDES]

13 Avr. 2015

Carozine découvre le roman Pension des mondes perdus - Pedro ROSA-MENDES
En cette journée printanière, je me trouve face à un grave problème : vous parler du roman de Pedro Rosa-Mendes, Pension des mondes perdus. Pourquoi un problème ? Parce que je ne suis pas certaine d’avoir compris le livre. Oups. L’écriture, poétique et lyrique, souvent métaphorique, a le don de bercer le lecteur, de l’emporter dans les tumultes de l’Histoire de ce pays (le Timor oriental) aux violents soubresauts… mais elle a également le chic pour nous perdre. Et quand la Carozine est perdue, rien ne va plus ! Mais la Pension des mondes perdus n’est pas, pour autant, un roman qu’il vous faudrait reléguer dans un coin de grenier ou sous une commode pour la caler. Loin de là. Car si l’on se laisse emporter par le lyrisme de Pedro Rosa-Mendes, c’est une magnifique ode à la liberté que l’on découvre entre les pages de Pension des mondes perdus. Et l’Histoire émouvante d’un pays baigné par le sang. Je vais d’ailleurs profiter de cette (modeste) introduction pour faire un rappel historique (très très résumé), bien nécessaire quand on se plonge dans le roman Pension des mondes perdus afin d’éviter les sourcils froncés et le grattement de crâne pour recadrer tout ça (même si Pedro Rosa-Mendes dénoue habilement les fils) : en 1596, le Portugal, alors puissant empire colonial, met les pieds au Timor oriental et s’y installe pour de longues années. Pendant ce temps, dans le reste de l’Indonésie, c’est l’emprise néerlandaise qui se fait sentir et qui marque les esprits, jusqu’à la révolution indonésienne, à la fin de la seconde guerre mondiale, pour reprendre le pouvoir et chasser les Hollandais. Ayant des visions de grandeur, l’Indonésie chasse le Portugal des terres timoraises et annexe le Timor oriental en 1975. Entre cette date et le référendum pour l’autonomie du pays, en 1999, la guérilla timoraise (le Fretilin, front révolutionnaire pour l’indépendance) ne cessera de s’activer dans le petit pays afin de retrouver leur indépendance… accordée en 2002, après de nombreux bains de sang et exactions dont certains échos sont parvenus jusqu’à nos oreilles. Bref ! Passons au roman !

Alor est fait d’étoiles. Il a été conçu sur une autre planète. Une comète a peut-être servi de cigogne. Ou un volcan. Lave froide ou lave chaude, une météorite pleine de curiosité à la recherche du monde par collision. Elle laisse chez les autres le souvenir concave d’un cataclysme. Alor est, surtout, le corps qui la contient : le corps est sa capsule. Encapsulées en Alor se trouvent les deux vérités à la révélation desquelles il peut parvenir. Pension des mondes perdus - Pedro ROSA-MENDES

Pension des mondes perdus : Timor oriental ; rébellion ; Indonésie... un vrai plat de spaghetti

Pension des mondes perdus - Pedro ROSA-MENDES [ed. Métailié]
Alor est un jeune architecte de vingt-deux ans qui débarque à Dili, capitale du Timor oriental, afin d’y construire une maison traditionnelle timoraise pour le leader indépendantiste. Comme il l’apprendra rapidement au cours de ses pérégrinations, véritable voyage initiatique et découverte de soi, la maison traditionnelle timoraise n’existe pas vraiment et c’est finalement la maison qui construit l’individu et non le contraire. Au cours de ce séjour dans les profondeurs du Timor oriental, Alor (qui a trouvé un hébergement dans la pension du monde perdu) rencontrera une princesse, Wallacea, qui cherche un prince afin de rétablir la dynastie matriarcale de sa famille et dont Alor, lors d’une séance sensuelle, dessinera le corps. Mais il croisera également le chemin d’un prêtre amateur d’art martial et un poil guérillero, d’un Brésilien juif qui tente de fonder un kibboutz dans un village timorais, et la fameuse Relique, Généralissime ayant mené la rébellion contre l’occupant indonésien. En cette veille d’indépendance du Timor oriental, Alor assistera à l’éveil des milices pro-indonésiennes qui feront couler le sang des « traitres », réalise qu’il a été manipulé mais, surtout, découvre les traditions et la culture orale de ce pays fascinant.

Ma contribution, en résumé : la consultation populaire ne pouvait pas négliger la force de la sainte alliance entre Timorais et Portugais. La vague allait s’amplifier les mois suivants et Djakarta devait s’y préparer. Nous étions face à des gens qui s’obstinaient à produire l’électricité avec des moulins à marée. Et les négociations ne devaient jamais perdre de vue le seul avantage stratégique des Timorais, qu’ils ne manqueraient pas d’utiliser : la malice de l’esclave disputé par deux maîtres. Pension des mondes perdus - Pedro ROSA-MENDES

Pension des mondes perdus : vestiges d’un empire colonial pour un roman au sublime lyrisme

Pension des mondes perdus - Pedro ROSA-MENDES
Ce que je retiens de Pension des mondes perdus n’est pas tant l’histoire d’Alor, qui nous parvient par bribes de conversations recueillies par un prêtre norvégien, mais bien l’Histoire du Timor. Pedro Rosa-Mendes réussit à faire revivre l’Histoire tumultueuse de ce petit pays, que nombre d’entre nous ne seraient pas capables de situer sur une carte. Il n’empêche : Tim-Tim bouillonne et Pension des mondes perdus en capte chaque sursaut. Avec une écriture indescriptible et onirique, Pedro Rosa-Mendes nous transporte dans les vestiges de l’empire colonial portugais et nous plonge dans ce Timor oriental méconnu, où la violence sourde et tout semble être prétexte pour des effusions de sang. Nous découvrons un pays dévasté par l’occupation indonésienne et les luttes civiles, un pays toujours imprégné de la grandeur portugaise passée et hanté par la magie. En prenant le parti de diviser son intrigue entre les différents personnages ayant côtoyé Alor, Pedro Rosa-Mendes en profite pour nous exposer différents prismes de la personnalité d’Alor, différentes visions du Timor oriental, différentes ambitions. Certes, il prend également le risque de nous perdre dans les évocations métaphysiques et les métaphores qui nous laissent parfois perplexe (du mois, ce fut mon cas). Mais l’écriture est sublime et l’Histoire du Timor oriental (et, indirectement, du Portugal) nous emporte dans ses tourbillons… tout comme ce pauvre gérant de la Pension du monde perdu, qui attribue un nom de massacre à chaque chambre et ne cesse d’augmenter la taille de son hôtel avant de se rendre à l’évidence : il y a trop de massacres et trop peu de place. On navigue ainsi entre le pouvoir indonésien, la résistance timoraise et le peuple, pris en étau entre ces deux puissances et résolument attaché à la magie-fantastique (comme ce personnage du « boto », qui n’est autre qu’un séducteur acharné auquel nulle femme ne peut résister et qui explique, de façon poétique, la naissance d’enfants de père inconnu !). En résumé, bien que les aventures d’Alor soient éparpillées (mais on en retiendra la magnifique confrontation père-fils et l’étrange jeu d’échecs auquel se livre Dalboekerk) et qu’il soit parfois délicat de retrouver leur fil conducteur (donc, autant s’abandonner), Pedro Rosa-Mendes nous livre un magnifique témoignage, un roman onirique évoquant avec poésie toute l’horreur du monde.

Nous ne combattons pas l’Indonésie, camarade Matarufa, ni même le régime de Suharto, nous combattons pour une place dans le temps, moi, toi, notre peuple, quelque chose qui vienne de nous et se retrouve dans l’Histoire. Ce sont les deux fronts de notre lutte, passé et futur, et nous devons avancer sur les deux. Notre combat s’inscrit dans le collectif. Moi je suis un guerrier du rêve, et toi un guerrier de la mémoire,
a dit le chef Jó. Pension des mondes perdus - Pedro ROSA-MENDES

Les détails du livre

Pension des mondes perdus

Auteur : Pedro ROSA-MENDES
Editeur : Métailié
Prix : 21,00 €
Nombre de pages : 397
Parution : 16 avril 2015

13 avril 2015

Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!

Autres lectures de Carozine : Le mystère Sherlock : un Cluedo sauce tartiflette (façon de parler)

. . Caroline D.