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Les Transparents : solidarité et débrouille en Angola (rentrée littéraire 2015)

[Carozine dévore le roman Les Transparents - ONDJAKI]

20 Août 2015

Carozine lit le roman Les Transparents - ONDJAKI
J’aurais bien aimé vous proposer un peu de fraîcheur en ces journées chaudes et estivales mais, à la place, je vais continuer de vous faire voyager et découvrir des pays où vous n’auriez peut-être pas mis les pieds cet été… aujourd’hui, nous partons pour l’Angola ! Et, histoire de vous mettre les idées au frais, vous aurez droit à une magistrale fuite d’eau qui apaise et rafraichit… si je ne suis pas gentille ! Bref. Je vais donc vous parler d’un auteur africain lusophone (oui, parce que l’Angola fut une colonie portugaise jusqu’en 1975, avant de devenir un état communiste, la République populaire d’Angola) : Ondjaki… dont la merveilleuse écriture nous transporte dans un immeuble un poil délabré de Luanda pour évoquer la vie de ses habitants : Les Transparents. Le livre sort aujourd'hui en librairie, marquant le grand début de cette rentrée littéraire 2015 ! (N'hésitez pas à l'offrir si vous connaissez une personne s'apprêtant à s'envoler pour l'Angola, cela vaut tous les guides touristiques possibles et imaginables.)

- dis-moi quelle est la couleur de ce feu…
l’Aveugle parlait la tête tournée vers la main du garçon qui le soutenait en le tenant par le bras, tous les deux, effrayés, tentaient d’échapper aux énormes langues de feu qui montaient du sol vers le ciel de Luanda
- si je pouvais expliquer la couleur du feu, l’ancien, je serais un poète de ceux qui parlent en poèmes
la voix hypnotisée, le MarchandDeCoquillage accompagnait l’évolution de l’incendie et guidait l’Aveugle à travers des passages à peu près sûrs où l’eau, jaillissant des canalisations défoncées, faisait un couloir pour ceux qui s’aventuraient dans cette jungle de flammes fouettées par le vent Les Transparents - ONDJAKI

Les Transparents : un immeuble ; des habitants et un pays

Les Transparents - ONDJAKI [ed. Métailié]
Luanda s’embrase de feux impossibles à maîtriser et éclatant partout dans la ville. Dans les rues surchauffées, un Aveugle (dont la vision est cependant plus perspicace que celle de la plupart des personnes l’entourant) s’accroche au bras d’un MarchandDeCoquillage, qui le conduit à travers les flammes vers le refuge inondé d’un immeuble ayant pris de l’importance à son coeur : l’immeuble de la Maianga. Et, tandis que l’Aveugle demande de quelle couleur sont les flammes qui ravagent Luanda, le MarchandDeCoquillage se rapproche à grandes enjambées de l’immeuble salvateur. Dans cet immeuble cohabite une population cosmopolite et débrouillarde. Nous y trouvons Odonato, l’homme qui a décidé d’arrêter de manger et devient de plus en plus transparent, ainsi que sa femme, Xilisbaba et celle qu’elle a adopté comme mère, GrandMèreKunjukise (dont l’esprit facétieux ne s’exprime qu’en umbundu), mais également sa fille, Amarelinha, qui façonne des bijoux avec des perles de verre. Ces bijoux sont ensuite commercialisés par l’une de leur voisine, la puissante et maligne MariaComForça, dont l’époux, non moins débrouillard, JoãoDevagar, n’est jamais en reste d’une combine, surtout quand elle lui est apportée par deux contrôleurs roublards, jouant de leurs connexions ministérielles. A d’autres étages, on trouve également Edu, et sa ernie monstrueuse juste à côté des testicules, accompagné de sa dévouée femme, Nelucha… il utilise un thermomètre pour lui servir d’excuse de conversation avec son voisin le CamaradeMuet (qui n’est pas muet mais amateur de jazz). Tous veillent gentiment sur un petit garçon fraîchement débarqué dans l’immeuble, hypnotisé par une émission aidant à retrouver des personnes car il espère bien y dénicher sa mère, dont il a été séparé pendant la guerre (l’Angola a souffert de 14 ans de guerre d’indépendance contre le Portugal, puis pas moins de 25 années de guerre civile, entre le gouvernement, soutenu par l’URSS et Cuba, et la guérilla, soutenue par les USA et l’Afrique du Sud). Au premier étage, une magistrale fuite d’eau oscille entre fleuve et douche rafraichissante, offrant un havre de paix et de repos aux habitants de l’immeuble… et au Facteur, qui espère, avec ses lettres manuscrites, obtenir une mobylette pour faire ses tournées dans la fournaise angolaise.

il se résolut à agir, sortit de sa cachette, observa dans la pénombre grisâtre la silhouette qui s’approchait et décida de parler d’un ton autoritaire
- veuillez vous identifier immédiatement
il perçut que l’autre s’était arrêté et attendit
- je suis en train de sortir, je suis le Facteur sans bicyclette ni mobylette, rien que des lettres
- quelles lettres ? demanda le Ministre
- les lettres que j’ai écrites
- vous écrivez des lettres ou vous les distribuez ? Les Transparents - ONDJAKI

Les Transparents : un roman puissant, profondément humain et beau

Les Transparents - ONDJAKI
La première chose qui se détache du roman d’Ondjaki est la ponctuation… ou plutôt le manque de point et de majuscules en début de phrase, comme si l’académisme ambiant n’était qu’un poids dont l’écriture magnifique d’Ondjaki s’est délestée pour gagner en légèreté. Car le roman Les Transparents est nourri d’une écriture qui coule comme l’eau de l’immeuble, libre, vive, pure et fluide, imbibée d’accents poétiques et de tranquillité. En quelques pages seulement, on tombe sous le charme de cette écriture si particulière d’Ondjaki et l’on comprend qu’il soit considéré comme l’un des écrivains africains les plus prometteurs de sa génération… d’autant qu’un vent d’humour et d’ironie balaie Les Transparents, comme un souffle vital qui nous aide à comprendre l’Angola. Et c’est le principal sujet de ce roman : les habitants de l’immeuble, avec leur solidarité, leur débrouille, leurs petites et grandes histoires, sont là pour nous parler d’un pays, de sa politique qui en exploite les ressources et oublie le peuple, de la violence qui sourde mais aussi de ces instants de joie et de vie. Avec ce style inimitable mêlant argot et mots pompeux (le "concomitamment" me fait toujours mourir de rire), Ondjaki fait vivre les Angolais et nous dévoile les situations inextricables (et cocasses) auxquelles sont confrontés les Luandais face à une administration pointilleuse et corrompue. Ces bribes de vie de ces personnalités hautes en couleur (qui saisissent le bonheur où il se trouve et attrapent la moindre opportunité passant sous leur nez) dont pas une n’est sous-exploitée par l'auteur sont autant d’accès de compréhension d’un pays en pleine mutation, où la débrouille est érigée en art de vie et où la (vraie) solidarité unit les habitants. Avec Les Transparents, Ondjaki nous parle d’un immeuble qui respire à travers ses habitants et leurs émotions, petite parenthèse d’un Angola, tiraillé entre modernité fracassante et tradition omnisciente, que l’on sent battre à chaque page… avec ses défauts, ses vautours qui exploitent les sous-sols, et cette faculté d’imagination déployée par ses habitants pour sortir leur épingle du jeu. Ondjaki, avec Les Transparents, signe un grand roman, caustique et intelligent, poétique et pourtant si pragmatique… un livre puissant et beau, qui, concomitamment, envoûte le lecteur.

- nous avons passé trop d’années à la recherche de ce qui est beau pour supporter la laideur. et je ne parle pas des immeubles, des trous dans la chaussée, des canalisations défoncées. il est temps que nous regardions en face ce qui ne va pas
- chez moi les anciens disaient qu’il est bon de regarder au loin. traverser la rivière en pensant à l’autre rive
- chez moi les anciens disaient que pour traverser la rivière il est bon de connaître les heures du crocodile
le soleil faisait danser les éclats métalliques d’antenne en antenne, le vent avait cessé, les klaxons et les sirènes traversaient la ville en direction de l’immensité de la mer, les hirondelles se reposaient à l’ombre et nourrissaient leurs petits Les Transparents - ONDJAKI

Les détails du livre

Les Transparents

Auteur : ONDJAKI
Editeur : Métailié
Prix : 21,00 € [14,99 au format Kindle]
Nombre de pages : 368
Parution : 20 août 2015

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20 août 2015

Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!

Autres lectures de Carozine : 84, Charing Cross Road : une correspondance farfelue et tendre.

. . Caroline D.