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Le roi disait que j’étais diable : sur les traces d’Aliénor d’Aquitaine

[Carozine déguste le roman Le roi disait que j'étais diable - Clara DUPONT-MONOD]

29 Jan. 2015

Bien. En cette journée franchement pluvieuse où j’aurais pourtant mieux à faire que de pondre un article sur Le roi disait que j’étais diable, dernier roman en date de Clara Dupont-Monod, il faut bien admettre que je dois me forcer à trouver la verve. Pourquoi diantre ? Le roi disait que j’étais diable est loin d’être mauvais, bien au contraire. Cependant, le roman n’a pas su me toucher réellement. Evidemment, le livre de Clara Dupont-Monod éveille des interrogations d’ordre historique et m’a poussée à en savoir plus sur la légendaire Aliénor d’Aquitaine car, et c’est là que le bas blesse un tantinet, en refermant Le roi disait que j’étais diable, on n’a finalement aucune idée précise de qui était Aliénor d’Aquitaine. Ce n’est probablement pas l’objectif de Clara Dupont-Monod, d’ailleurs… mais quand l’Histoire se brouille en vagues notions, disons qu’il est problématique de situer Le roi disait que j’étais diable et de se dépatouiller avec les fils emmêlés de notre Histoire.

La joie est stupide. Elle s’offre facilement. C’est l’émotion la plus reconnaissable, donc la moins perfide. Elle fendille les visages avec la stupeur un peu niaise de se découvrir léger. Rien n’est plus angoissant qu’un être joyeux. Comment peut-il ignorer la faim et les menaces ? La joie produit de mauvais combattants. Je lui préfère la colère, c’est une autre histoire. Elle fait bouillir le sang. Elle est la forme même de la vie, sa première vocifération. Elle peut trahir. J’aime la colère parce qu’elle a toujours quelque chose à révéler. Le roi disait que j'étais diable - Clara DUPONT-MONOD

Le roi disait que j’étais diable : Aliénor la fougueuse vs. Louis VII le moinillon

Le roman Le roi disait que j'étais diable - Clara DUPONT-MONOD [Ed. Grasset]
Et comme l’écrivain en manque d’inspiration ou tétanisé par la célèbre peur de la page blanche, je me trouve ainsi devant mon iMac avec la délicate question : mais comment diable vais-je bien pouvoir raconter ce fichu roman ?! Ah. Disons, pour simplifier les choses, que nous découvrons Aliénor d’Aquitaine au sommet de son château de l’Ombrière, scrutant avec attention l’arrivée fanfaronnante de son futur époux, Louis VII… et que la découverte de son mari la laisse plutôt de marbre, pensez-donc, sa main a l’audace de trembler devant la beauté d’Aliénor quand il tend son épée en signe de soumission. Un roi à la main qui tremble, on n’a pas idée, et il n’en faut pas moins pour que la fougueuse Aliénor prenne en grippe son royal époux. Car Aliénor n’a pas vraiment la tête de la taille d’un citron et elle est surtout possédée d’une ambition dévorante : faire mieux que ces ancêtres (dont on découvrira au fil des pages que certains d'entre eux ont failli, d'ailleurs) ; inscrire son nom dans l’Histoire et prouver au monde qu’elle est une femme de tête. Fort bien. Face à elle ? Louis VII, ses doutes, ses conseillers frileux et sa bible.

Aliénor. Tu fais de ton prénom un monde. Mon pauvre amour. En réalité, il répond simplement à cette autorité filiale que tu prétends détester. Ta mère s’appelait Aénor. Toi, tu es juste une autre Aénor. Une copie. Un alia -puisque tu parles le latin. Alia Aénor… Les mots se sont fondus et te voici. En quelques syllabes, tu t’inscris dans une lignée. Tu ne l’avoueras jamais, tu es trop orgueilleuse pour cela. Tu ignores même que j’ai eu le temps d’y réfléchir durant le voyage. En approchant de ton château, j’ai senti qu’il était à ton image. Beau, isolé, imprenable. Le roi disait que j'étais diable - Clara DUPONT-MONOD

Le roi disait que j’étais diable : une version d’Aliénor d’Aquitaine

Le roi disait que j'étais diable - Clara DUPONT-MONOD : une vision d'Aliénor d'Aquitaine
Car la jolie trouvaille de Clara Dupont-Monod est de confronter les pensées tumultueuses d’Aliénor d’Aquitaine et celles, plus placides, de Louis VII. A travers les pages de Le roi disait que j’étais diable ce sont deux visions de la vie qui s’opposent, deux éducations : Aliénor la guerrière aime les villes qui grouillent, le luxe, les poèmes et les légendes de l’amour courtois mais, surtout, elle rejette l’Eglise ; pour elle, la terre est l’origine de tout et mérite que l’on verse son sang. De l’autre côté, Louis VII, le roi malgré lui : tiré de force de ses études monastiques pour diriger le royaume, convaincu que les mots sont plus forts que tout, amoureux fou d’une femme altière, hautaine et méprisante. De toute sa force, Aliénor tentera de faire fléchir Louis VII, de le conduire vers ce qu’elle désire : il mettra le pays en guerre pour laver l’honneur d’Aliénor ; incendiera des églises pour apaiser les foudres d’Aliénor face aux révoltes de la bourgeoisie de Poitiers… Avec Le roi disait que j’étais diable, on assiste à une constante lutte et on en vient à plaindre ce roi amoureux, prêt à renier ce en quoi il croit pour conquérir la moindre petite parcelle d’admiration auprès de sa femme. Ne se souciant que peu du contexte historique, Clara Dupont-Monod s’attache à nous plonger dans les pensées tumultueuses d’une Aliénor qui nous reste lointaine. Le roi disait que j’étais diable m’a laissé une impression confuse : Aliénor semble être la proie de ses émotions, entièrement dirigée par sa colère. Mais, comme une voix judicieuse me l’a fait remarquer : elle n’avait que 15 /16 ans quand Le roi disait que j’étais diable commence. Forcément, ça remet un poil les choses en perspective. Loin de tout préjugé sur cette figure sulfureuse de l’Histoire, Clara Dupont-Monod offre sa vision d’Aliénor, avec une écriture fluide, souple et un brin poétique. Le plus beau dans Le roi disait que j’étais diable est ce double chant, cette profondeur ambiguë qui habite les deux personnages, les abysses dans lesquels plonge Louis VII par amour pour une femme qui l’ignore superbement… le chaos que leur relation belliqueuse engendre.

Celle qui donne des ordres, chevauche comme un homme et ne craint pas le désir qu’elle suscite. Celle qui colore ses robes. Celle qui n’attache pas ses cheveux. Porte des souliers pointus. Qui donne l’argent du royaume à des poètes venus d’en bas. La petite-fille de ce fou de Guillaume, sorcière qui a grandi en écoutant des textes obscènes, tandis que le roi, ce sage, s’est nourri des phrases sacrées. Je suis le poison, la faute, l’immense faute de Louis. Le roi disait que j'étais diable - Clara DUPONT-MONOD

Les détails du livre

Le roi disait que j'étais diable

Auteur : Clara DUPONT-MONOD
Editeur : Grasset
Prix : 18,00 €
Nombre de pages : 240
Parution : août 2014

29 janvier 2015

Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!

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. . Caroline D.