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Le nombre de Dieu : le temps des cathédrales vu de l’intérieur

[Carozine se plonge dans le roman Le nombre de Dieu - José Luis CORRAL]

5 Mars 2015

Carozine lit Le nombre de Dieu... pas sur cette image mais ce n'est pas bien grave
Il y a eu, bien sûr, les Piliers de la terre de Ken Follett (dont l’adaptation en série télévisée fut plutôt lamentable et que j’ai abandonnée en cours de route une fois que le rouquin a repris vie comme par magie, ce qui était finalement le pompon de la cerise sur le McDo) pour aborder le sujet de la construction des cathédrales dans la période houleuse du XIIe siècle britannique. 1989… un poil has been, je vous l’accorde. Et je vous propose donc de vous décaler d’un siècle pour nous positionner au XIIIe siècle, entre la France et l’Espagne, avec Le nombre de Dieu, de José Luis Corral (le monsieur a déjà écrit un bestseller, L’héritier du temple, que je n’ai absolument pas lu mais dont j’avais eu tout le loisir d’admirer la couverture pendant mon passage éclair en librairie… à moins que je ne confonde avec un autre livre, ce qui est plutôt probable me connaissant, bref). Bon, alors, oui, je sais : "encore un pavé avec Dieu dans le titre, on pourrait peut-être lui ficher la paix, au célèbre barbu, au lieu de l'utiliser pour booster les ventes"... Pas faux. Néanmoins, José Luis Corral a le mérite de savoir de quoi il parle puisqu’il est professeur d’histoire médiévale, à Saragosse. Allez, posons ensemble la première pierre de cette chronique et passons au résumé !

Le nombre de Dieu : une passion pour les cathédrale ; une Eglise en pleine gloire et de la passion tout court

Le roman Le nombre de Dieu - José Luis CORRAL [Ed. HC éditions]
Nous sommes en 1212, à Burgos (en Castille), et la petite Teresa Rendol vient de naître ; dès qu’elle parvient à se tenir sur ses deux jambes et à gambader, elle accompagne son père sur les chantiers des cathédrales en construction, et pour cause : il est maître peintre. Auprès de lui, Teresa grandit et parfait sa technique de la peinture, profitant largement de la brèche éphémère créée par Aliénor d’Aquitaine quant à la liberté des femmes. Petit souci cependant : Arnaud Rendol est un cathare et donc considéré comme hérétique par l’église. Toute sa vie, il n’aura de cesse de masquer sa condition à sa fille… jusqu’à son lit de mort. Ce n’est qu’alors que Teresa Rendol, déjà femme et maître peintre accomplie, apprendra la véritable nature de son père et ce que signifie, pour une femme, d’être cathare : être l’égale de l’homme ; ne pas se laisser emprisonner par les liens du mariage ; rester libre. Un certain nombres de kilomètres plus loin, Jean de Rouen, maître d’oeuvre hors norme, poursuit la construction de la cathédrale de Chartres, avec son rejeton, Henri de Rouen, à ses basques. Il s’agit d’une période où les évêques n’ont pas vraiment l’égo de la taille d’un pois chiche et où ils n’hésitent pas à taper dans la bourse des croyants pour financer la folie de leur grandeur. Henri n’a que neuf ans (autre époque, hein…) quand il entame son apprentissage pour marcher dans les pas de son père, et montre déjà les signes précoces d’un formidable talent pour la sculpture. A Chartres puis à Paris, Henri de Rouen apprendra la nouvelle architecture, celle entièrement dédiée à la lumière pour mieux glorifier Dieu : l’harmonie des proportions ; l’importance des rapports mathématiques et le fameux nombre de Dieu, véritable nombre d’or de l’architecture des nouvelles cathédrales, petit secret transmis de maître en apprenti. Du côté de Burgos, un nouvel évêque, Don Mauricio, pointe le bout de son nez et de son ambition : il souhaite une nouvelle cathédrale, plus lumineuse et plus grande que l’ancienne. Pour la construire, il fait appel au frère de Jean de Rouen, Louis… rapidement rejoint par son neveu Henri, afin qu’il gravisse les derniers échelons pour devenir, à son tour, maître d’oeuvre. Bon, alors, je vous voir venir : tiens tiens, Henri va donc rencontrer Teresa. Oui, mais non. Enfin si, mais pas tout de suite. Car le père de Teresa Rendol, un poil forte tête, ronchonne quand Louis de Rouen lui annonce que non seulement il devra détruire ses peintures murales mais, qu’en plus, la nouvelle cathédrale n’aura pas de fresques murales et que le maître peintre devra se contenter de tartiner les statures. Alors là non. Rendol père prend ses cliques et ses claques et file à Léon, voir s’il y a du travail, avec sa fille sous le bras. Allez, je vous la fais courte : Henri de Rouen ira se promener sur le chemin de Compostelle pour admirer les différentes architectures et finira par faire la rencontre de Teresa. De son côté, la belle et fougueuse Teresa rejoindra Burgos, à la mort de son ronchon de père, pour y ouvrir un atelier de peinture… et revoir Henri.

Une douzaine de lampes à huile disposées en arc de cercle éclairaient le mur fraîchement blanchi à la chaux, sur lequel il avait tracé des lignes noires délimitant les contours des dessins qu’il allait devoir colorier au plus vite, avant que l’enduit ne sèche. La technique de la peinture à fresque requérait une habileté extraordinaire. Les couleurs devaient obligatoirement être appliquées sur la chaux encore humide, de sorte que les pigments pénètrent et se fixent, sinon, au séchage, la peinture s’écaillait et finissait par disparaître ou les teintes passaient et perdaient l’aspect lumineux et brillant recherché. Le nombre de Dieu - José Luis CORRAL

Le nombre de Dieu : un contexte historique peut-être un peu trop présent

Le nombre de Dieu - José Luis CORRAL
Vous vous en doutez, le XIIIe siècle est une période riche en rebondissements historiques. Les premières pages du Nombre de Dieu ne sont donc pas des plus digestes puisqu’elles posent la base historique nécessaire pour comprendre l’ensemble du roman : la manigance de Bérengère de Castille pour mettre son fils, Ferdinand, au pouvoir et réunir Castille et Léon dans les mains d’un seul et unique souverain ; les guerres menées contre l’invasion musulmane afin de reprendre les terres espagnoles ; les débuts de l’Inquisition et la lutte contre les cathares ; les ambitions dévorantes des évêques construisant à tour de bras des cathédrales plus grandes et plus belles les unes que les autres… Autant dire qu’autant d’information est assez soporifique et que les débuts du roman Le nombre de Dieu en pâtissent franchement. On a nettement l’impression, alors, que le contexte historique dépassera largement les limites du contexte pour prendre le pas sur le romanesque qui, lui, met du temps à se mettre en place. Là réside le gros défaut de José Luis Corral : on sent un peu trop les cours d’histoire médiévale entre les pages de son livre Le nombre de Dieu, d’autant que l’écriture n’est pas particulièrement fluide. Ceci étant, le propos historique est bigrement intéressant, de même que l’aperçu de la naissance d’une cathédrale ou le fonctionnement des chapitres censés autoriser chaque étape de la construction : le passage expliquant la magie de la lumière dans la cathédrale de Chartres (grâce à un clou doré) est absolument sublime. Enfin, le romanesque revient à la charge avec la rencontre de la pétillante Teresa Rendol (personnage hautement fictif) et Henri de Rouen : empreinte de l’esprit cathare, Teresa fera en sorte de vivre sa vie librement, sans attache physique, bien qu’éperdument amoureuse d’Henri de Rouen ; à travers elle, souffle un vent de féminisme, bien loin des courants actuels, qui nous rappelle que, fut un temps, tout était à conquérir et notamment la reconnaissance de la valeur et du travail de la femme. Ces deux personnages passionnés par leur métier font battre le coeur de ce roman, nous permettent une incursion dans l’importance des couleurs employées ou de la géométrie pure… il n’empêche que Le nombre de Dieu manque de cette puissance narrative qui emporte le lecteur. Pour résumer : le propos est intéressant, fourni et fait que l’on tourne les pages du roman de José Luis Corral (d’autant que Le nombre de Dieu nous offre une perspective magnifique sur l’évolution des moeurs et de la culture sur la soixantaine d’années que couvre le roman) ; mais le souffle romanesque est un peu celui d’une personne asthmatique tentant de courir le marathon de New York. Un livre à découvrir pour approfondir ses connaissances sur cette période historique foisonnante que fut le XIIIe siècle car la lecture du Nombre de Dieu reste un plaisir et une excellente façon de se plonger dans l’Histoire.

- C’est une question d’optique, intervint Jean de Rouen, enfin d’optique et de théologie. Dieu est lumière, la lumière de l’univers qui féconde la terre et nous libère de la matière obscure. La pierre représente le monde féminin, qui donne la vie lorsqu’il reçoit la lumière. Peut-être avez-vous remarqué que la Vierge de la porte est sculptée en pierre noire. (…) Nous avons bâti cette cathédrale à l’image du monde, reprit-il. Elle symbolise l’univers tout entier. Elle réunit la lumière et l’obscurité, la raison et la folie. Mais elle représente sans aucun doute le triomphe de la lumière sur les ténèbres. Les vitraux donnent une forme à la lumière divine du soleil. La lumière est l’élément fécondateur masculin, et la pierre l’élément récepteur féminin. Le nombre de Dieu - José Luis CORRAL

Les détails du livre

Le nombre de Dieu

Auteur : José Luis CORRAL
Editeur : HC éditions
Prix : 22 €
Nombre de pages : 448
Parution : 26 février 2015

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Le nombre de Dieu

5 mars 2015

Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!

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. . Caroline D.