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La Société des Jeunes Pianistes : un roman initiatique troublant

[Carozine dévore le roman La Société des Jeunes Pianistes - Ketil BJØRNSTAD]

2 Mars 2015

Il est de ces romans qui vous laissent un goût étrange entre les doigts, comme un mélange d’envoûtement, de frustration et de plaisir insubmersible. Le livre de Ketil Bjornstad fait indéniablement partie de ces romans : La Société des Jeunes Pianistes me laisse encore, à cet instant, perplexe, telle un pantin sorti de sa transe. L’histoire m’avait intriguée, il y a de cela quelques temps déjà, et, dans mon grand discernement, j’avais placé La Société des Jeunes Pianistes dans ma petite liste des livres à me procurer. Or, je suis tombée dessus dans la bibliothèque parentale… l’occasion faisant le lardon, comme d’aucuns le diraient dans un esprit facétieux, je m’en suis emparée et je l’ai dévoré. Car le livre de Ketil Bjornstad est un condensé de magie, de passion et d’intelligence ; une oeuvre que l'on n'oublie pas facilement et qui reste, à jamais, dans un petit coin de la mémoire, prête à être dépoussiérée pour aider un(e) ami(e) en mal de lecture (oui, oui, un peu comme mon roman fétiche par excellence, Le prince des marées).

Deux personnes gentilles et désespérées, qui pensaient trouver l’amour dans le mariage mais n’arrivent pas à vivre sous le même toit. Sans oublier deux enfants anxieux, incapables de gaieté même quand ils sont gais. La voici, la famille Vinding. Dans mon souvenir, mon enfance est une angoisse permanente, une angoisse qui s’est incrustée dans mes nerfs comme une maladie chronique, une douleur en songeant à nos existences courtes et fortes : notre faiblesse au creux de ces vies, car nous les menons sans en avoir l’aptitude, car un malheur va toujours survenir. La Société des Jeunes Pianistes - Ketil BJØRNSTAD

La Société des Jeunes Pianistes : de jeunes prodiges et leurs aspirations face à la réalité

Le roman La Société des Jeunes Pianistes - Ketil BJØRNSTAD [Ed. Le Livre de Poche]
Oslo, fin des années 60. Il était une fois un adolescent timide et renfermé, Aksel Vinding, grandissant tant bien que mal dans une famille vivant au-dessus de ses moyens, entouré de parents éprouvant quelques difficultés à surmonter leurs différences et à vivre ensemble. La mère d’Aksel, évanescente et délicate, transmet à son rejeton sa passion pour la musique : Aksel se nourrit de Ravel et de Brahms, bien à l’écart des turbulences des autres adolescents de son âge. Mais voilà. Par une belle journée d’été, la mère d’Aksel Vinding se noie et le jeune homme perd pied : il en profite pour quitter l’école et se lancer à corps perdu dans la musique, afin de devenir pianiste. Fort bien. Mais (re)voilà. Son chemin va croiser celui de la diaphane Anja Skoog, ambitieuse et terriblement sûre d’elle… qui va le battre à plates coutures lors du premier concours dans lequel s’essaie Aksel. Qu’à cela ne tienne, il est amoureux de sa ravissante concurrente, qui a mis en ébullition le petit monde des jeunes pianistes prodiges et pour cause : personne n’avait entendu parler d’elle avant le soir de son éblouissante réussite. Autour de nos jeunes finalistes, qui formeront rapidement la Société des Jeunes Pianistes, gravitent des pédagogues ou autres impresarios, des parents étrangement absents de la vie de leur enfant… Et, entre la belle et riche Rebecca, l’irritante Margrethe Irene (et son appareil dentaire) et Aksel, se nouent des liens indéfectibles, composés d’admiration, de concurrence, de jalousie parfois et d’entraide.

Et si jusqu’ici j’ai toujours su qui était ma soeur, force m’est de constater que j’en suis plus si certain. C’est une femme adulte, pensé-je, tandis qu’elle avance sur le quai pour emprunter le passage. Il y a quelque chose dans sa manière de s’habiller, cette robe, ce manteau qu’elle porte. Oui, pensé-je ensuite, elle est devenue une femme. Et je sens en moi un picotement car je perçois que je suis en train de la perdre. La perspective de savoir qu’elle aussi va quitter ma vie m’épuise. La Société des Jeunes Pianistes - Ketil BJØRNSTAD

La Société des Jeunes Pianistes : un roman à l’envoûtante mélancolie

La Société des Jeunes Pianistes - Ketil BJØRNSTAD
Très franchement, j’ai beaucoup de mal à trouver les mots pour évoquer ce roman impalpable et délicat. La Société des Jeunes Pianistes est, finalement, bien plus qu’un roman initiatique. Certes, son propos de fond est Aksel Vinding, son évolution entre la mort tragique de sa mère, son amour éperdu pour Anja, sa soeur alcoolique, son père absent et le drame des dernières pages. Ketil Bjornstad parvient à dresser un portrait juste, intelligent et sensible de cet adolescent pas tout à fait comme les autres dans sa passion musicale mais tellement universel dans son égocentrisme, les doutes et obsessions qui l’assaillent, son désarroi et, paradoxalement, son effroyable confiance en lui, hautaine et naïve. Alors, oui, La Société des Jeunes Pianistes est un roman qui nous conte l’histoire d’un adolescent qui se retrouve, ou plutôt apprend à se connaître et à s’intéresser à sa famille et, en cela, il s’agit indéniablement d’un roman initiatique. Mais Ketil Bjornstad va plus loin : au-delà des affres de l’adolescence, elle aborde la question du prix à payer pour sortir de l’anonymat, vivre pour sa passion. Mais cette passion est-elle la nôtre propre ? ou nous a-t-elle été dictée ? En égrenant dans son récit le personnage trouble et fascinant de Selma Lynge, manipulatrice souveraine et diabolique (dont on n’aura finalement qu’un aperçu trouble, à travers les rumeurs et les yeux peu objectifs d’Aksel Vinding), ou encore Bror Skoog, père inquiétant et maléfique d’Anja (et dont on ne cesse de se demander quelle est l’emprise qu’il possède sur sa fille), La Société des Jeunes Pianistes gagne en profondeur, en intensité dramatique. Enfin, l’écriture aussi fluide et vive qu’une mélodie de Schubert finit de nous envoûter. Décidément, La Société des Jeunes Pianistes est un livre mélancolique, sensible et intelligent, oscillant en permanence entre le diaphane et le douloureux… et que je recommande à tous les amateurs de musique… et de bons romans. La Société des Jeunes Pianistes sonne juste à chaque page mais, peut-être, est-ce parce que son auteur, Ketil Bjornstad, est également passé par la case du concours des Jeunes Talents d’Oslo, alors qu’il n’avait que quatorze ans.

Son jeu confère au morceau une force funeste, comme Chopin l’aurait sûrement voulu, avec les tons de basse graves et profonds qui portent chaque nouvelle vibration. (…) Elle ressemble à un oiseau qui s’ébroue. Oui, elle grandit à vue d’oeil. En ce moment précis, sur la scène, elle s’élève, elle s’amplifie après des jours, des semaines, des mois de dur labeur, avec en sous-main la volonté de fer d’une Selma Lynge. Je tends l’oreille, mais une pensée ne cesse de me tarauder : elle est dans mon chemin, et je l’aime. La Société des Jeunes Pianistes - Ketil BJØRNSTAD

Les détails du livre

La Société des Jeunes Pianistes

Auteur : Ketil BJØRNSTAD
Editeur : Le Livre de Poche
Prix : 7,10 €
Nombre de pages : 443
Parution : février 2008

2 mars 2015

Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!

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. . Caroline D.