Le Dictionnaire amoureux de Marcel Proust : jubilation intellectuelle
[Carozine poursuit ses lectures avec Le Dictionnaire amoureux de Marcel Proust - Jean-Paul et Raphaël ENTHOVEN]19 Nov. 2013
Soyons honnête. J’ai beau être une fan absolue du grand Marcel, j’avais tout de même prévu un plan B pour m’attaquer au Dictionnaire amoureux de Marcel Proust, signé par Jean-Paul et Raphaël Enthoven ; j’avais ainsi préparé, juste à côté de mon pavé proustien, un livre de secours destiné à me sauver de l’ennui mortel causé par la lecture d’un dictionnaire que je présumais forcément barbant… après tout, qui apprécierait réellement de se plonger dans la lecture du Petit Robert ? Je vous le demande. Et pourtant, la lecture de secours est sagement restée de côté, le temps que je dévore ce dictionnaire savoureux… et que je termine ces quelques lignes. Loin d’être soporifique, le Dictionnaire amoureux de Marcel Proust est un feu d’artifice d’anecdotes et autres remarques pétillantes, qui vous donnera envie de ressortir de votre bibliothèque les 7 tomes d’A la recherche du temps perdu (pour les lire, n'est-il pas Docteur Watson... et non vous en servir pour câler votre armoire ou assommer belle-maman lors des très prochaines fêtes de Noël).
Quelques semaines avant de rendre l’âme, il avait répondu à un reporter de L’Intransigeant qui posait à quelques célébrités la question classique : "Que feriez-vous si la fin du monde était vraiment pour demain ?"
"Je crois que la vie nous paraitrait brusquement délicieuse, lui répondit Marcel. Songez en effet combien de projets, de voyages, d’amours, d’études, notre vie tient en dissolution, invisibles à notre paresse qui, sûre de l’avenir, les ajourne sans cesse. Mais que tout cela risque d’être à jamais impossible, comme cela redeviendra beau… Et pourtant, nous n’aurions pas dû avoir besoin du cataclysme pour aimer aujourd’hui la vie. Il aurait suffit de penser que ce soir peut venir la mort." Le Dictionnaire amoureux de Marcel Proust - Jean-Paul et Raphaël ENTHOVEN
Le dictionnaire amoureux de Marcel Proust : intelligence et facétie
Il était une fois un père et son fils diablement épris de l’oeuvre de Marcel Proust et n’ayant pas les neurones dans le même sabot. Jean-Paul et Raphaël Enthoven sautillent, 100 ans après la première publication d’A la recherche du temps perdu, au gré des lettres de l’alphabet entre l’oeuvre magistrale et son auteur génialissime qui savait, comme personne d’autre, évoquer l’impalpable. Le dictionnaire amoureux de Marcel Proust fourmille d’anecdotes savoureuses et érudites. Les auteurs nous y dévoilent les changements de sexe (que tout lecteur suppose sans réellement en avoir la preuve, à moins de se pencher avec sérieux sur la vie et les hommes l’ayant traversée de Marcel Proust) des personnages féminins, dont le chauffeur Alfred qui, suite à une « fugue » de la demeure proustienne, a pris le nom de Marcel Swann pour s’inscrire à une école d’aviation ; ils abordent également l’épineuse question de l’antisémitisme du duc de Guermantes ou de Charlus, notamment, ou encore analysent la relation fusionnelle entre un fils asthmatique et une mère ne se résignant pas à abandonner un fils nerveux… et qui en oublie son rôle d’épouse. Le dictionnaire amoureux de Marcel Proust nous dévoile également les critiques, plutôt délectables, qu’émettent, entre autres, Salvador Dali et Céline à l’encontre de Proust… Louis-Ferdinand n’hésitant pas à qualifier A la recherche du temps perdu de galimatias (à ce sujet, l’un de mes auteurs favoris, Evelyn Waugh, a également décrété que Proust était « mentalement déficient »).
Au sommet de la hiérarchie des êtres qu’il est hilarant de contempler mais désagréable de subir, se trouvent les mondains qui se trompent tout le temps sans jamais douter d’être dans le vrai. En tête de leur cortège, telle l’imbécillité guidant le Gotha, voici l’exaspérante « ambassadrice de Turquie »… C’est une dinde. Une volaille invisible et sonore qui, comme une mauvaise odeur, apparaît sans qu’on s’y attende, disparaît avant qu’on ne s’en souvienne, et que seul un sourire de la mémoire préserve de l’oubli complet. Le Dictionnaire amoureux de Marcel Proust - Jean-Paul et Raphaël ENTHOVEN
On y apprend également que, lors d’un dîner mondain organisé par les Schiff, un Marcel Proust agonisant (carrément caractérisé de « Christ arménien » par Cocteau) rencontre un James Joyce beurré comme un petit Lu ou que Madame de Sévigné, à son époque, avait déjà fait les frais de la cuisine gastronomique qui envahit nos restaurants et qu’elle l’avait qualifiée « d’une magnificence à mourir de faim ». Le pompon de la cerise sur le MacDonald’s ? Les deux auteurs de ce Dictionnaire amoureux de Marcel Proust connaissent même La belle lisse poire du Prince de Motordu dont ils attribuent l’origine (ou presque) au directeur du Grand Hôtel de Balbec qui, étant d’origine roumaine, comprenait les choses de travers et devenait ainsi « frivole de fruit » ou pestait contre les « moyens de commotion ». Les anecdotes du Dictionnaire amoureux de Marcel Proust sont bien trop nombreuses pour pouvoir être ici toutes retranscrites mais elles m’ont fait l’effet de petites bulles de champagnes explosant légèrement en distillant toute leur saveur. Les deux auteurs exposent une culture astronomique en une écriture enlevée et facétieuse, rendant largement honneur à Proust. On redécouvre, avec Le dictionnaire amoureux de Marcel Proust, cette oeuvre qui fait frémir et émeut, ce vocabulaire choisi avec un soin méticuleux, cet auteur fascinant jonglant entre les descriptions irréelles de sentiments insaisissables et les aspects plus triviaux de l’existence (oui, comme les asperges). Pour les amateurs de récompense : Le dictionnaire amoureux de Marcel Proust a même reçu récemment le Prix Femina de l'essai.
Berl s’était pourtant bien défendu, lors de sa dernière visite, en demandant à Proust quelle différence il pouvait bien faire entre l’onanisme et l’accouplement dès lors que l’amour, selon lui, n’était qu’une illusion. Il aggrava son cas en citant l’exemple de Marcellin Berthelot qui, octogénaire, avait préféré mourir que de survivre à son épouse. Proust ne répondit pas, et chassa ce rebelle en l’insultant ("Vous êtes plus stupide que Léon Blum…"), avant de lui jeter une pantoufle. Le Dictionnaire amoureux de Marcel Proust - Jean-Paul et Raphaël ENTHOVEN
Les détails du livre
Le dictionnaire amoureux de Marcel Proust
Auteur : Jean-Paul et Raphaël ENTHOVEN
Editeur : Plon - Grasset
Prix : 24,50 €
Nombre de pages : 736
Parution : août 2013
Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!
Autres lectures de Carozine : La théorie du Chaos : du polar et des mathématiques... mais bien ficelés