La porte : pépite hongroise
[Carozine dévore le roman La porte - Magda SZABÓ]
Je suis rentrée de vacances il y a une semaine et, allez savoir pourquoi (bon, si je me transforme en psychiatre hochant de la tête et marmonnant un vague « hmm », et, en étant honnête, je sais déjà pourquoi, mais tout est une histoire de style), je dors mal depuis mon retour… Résultat, j’ai le cerveau amorphe. Ceci étant, j’ai néanmoins réussi à achever ma lecture du roman de Magda Szabó : La porte. Sauf que bon, c’était il y a deux jours et que le neurone à plat, venant former une coalition néfaste avec le baobab qui pousse au creux de ma paume, fait que je n’ai trouvé le courage de me planter devant mon écran qu’aujourd’hui. Ce n’est déjà pas si mal. Un peu de retard, donc, comme le lapin d’Alice, mais rien d’irrécupérable ! Allez, on prend l’avion pour Budapest (je ne vous ferai pas l’affront de vous préciser le pays) et on découvre l’envoûtant univers de Magda Szabó avec son roman La porte.
Je rêve rarement. Quand cela se produit, je me réveille en sursaut, baignée de sueur. Alors je me rallonge, j’attends que mon coeur cesse de battre la chamade, puis je médite sur le pouvoir magique, irrésistible de la nuit. Dans mon enfance, dans ma jeunesse, je n’avais pas de rêves, ni de bons ni de mauvais. À présent, c’est l’âge qui charrie sans relâche les alluvions du passé en une masse de plus en plus compacte, horreur dense d’autant plus alarmante qu’elle est plus étouffante, plus tragique que ce que j’ai jamais vécu. La porte - Magda SZABÓ
La porte : une écrivaine, une porte et une domestique
Magda Szabó vient d’emménager dans son nouveau quartier et, plongée dans ses écrits, elle n’a guère le temps de s’occuper de son appartement alors, lorsque l’une de ses connaissances lui parle de la vieille Emerence Szeredás en lui en vantant les mérites, elle se hâte de rencontrer la femme. Sauf que la rencontre n’est pas tout à fait celle prévue par Magda. Et pour cause, Emerence est à mille lieues d’être une domestique comme les autres. N’ayant pas besoin de ce travail de domestique pour vivre, puisqu’elle est déjà concierge d’un immeuble, Emerence se réserve le luxe de choisir les familles pour qui elle souhaite travailler. Et, après avoir mené son enquête, son choix valide celui de Magda : Emerence sera sa domestique pendant près de vingt ans, fléau nécessaire et pourtant souveraine en la demeure de sa maîtresse…
(…) Le visage d’Emerence ne pouvait être comparé qu’au miroir lisse d’une eau matinale. Je ne savais pas dans quelle mesure ma proposition l’intéressait, elle n’avait pas besoin de ce travail, ni d’argent, cela se voyait sur toute sa personne, il était terriblement important pour moi qu’elle accepte, mais voilà, ce visage lisse comme un étang dans l’ombre du foulard évoquant un accessoire rituel resta longtemps sans rien trahir. Emerence ne releva pas la tête, même lorsqu’elle donna enfin sa réponse. La porte - Magda SZABÓ
La porte : un chef d’oeuvre qui intrigue
Pendant vingt ans, Magda cherchera à apprivoiser cette étrange domestique qui impose ses propres horaires au rythme des saisons, prépare des rôtis en guise d’excuses, rabroue ses patrons sans l’ombre d’un regret et refuse à toute personne l’accès à son appartement, condamnant ses invités à rester sur le pas de porte, à l’extérieur. La porte est le récit d’une longue confession car, après vingt ans passés à tenter de comprendre cette vieille femme, Magda en est sûre : c’est elle qui a tué Emerence Szeredás. À force d’égocentrisme et de déni. Au gré des pages du roman La porte, Magda Szabó détricote les fils de cette amitié sinueuse qui fera fi des incompréhensions mutuelles, des préjugés de Magda sur sa domestique et des différences. Qui sont pourtant nombreuses. L’une est intellectuelle, cultivée, cérébrale et religieuse ; l’autre possède une intelligence brute, non formatée et peu sujettes aux contraintes sociales, se moque ouvertement des rendez-vous sacrés de sa maîtresse au temple. Et ces deux femmes aux antipodes l’une de l’autre, entre qui, pourtant, se tisse un lien de dépendance, portent ce roman envoûtant qu’est La porte. Magda Szabó, avec cette écriture mélodieuse et érudite, nous livre un véritable chef d’oeuvre ; une confession pudique et sincère sur fond autobiographique qui retrace non seulement la vie de l’écrivaine (les périodes de mise au banc de la société hongroise puis le retour dans les bonnes grâces de l’intelligentsia) mais également celle d’un quartier de Budapest, retraçant en filigrane l’Histoire de la Hongrie. Dans le roman La porte, la ligne démarquant la vérité de l’invention littéraire est floue et trouble, délectable. J’ai été enthousiasmée par l’écriture de Magda Szabó, par les thèmes abordés, par ce personnage charismatique d’Emerence dont je pressens que l’on peut difficilement l’effacer de sa mémoire après l’avoir découvert, et oui, La porte m’a donné envie de découvrir les autres romans de cette écrivaine que je ne connaissais, jusqu’à présent, que de nom. (Honte à moi.)
Emerence n’avait pas étudié Héraclite, mais elle en savait beaucoup plus que moi, pourtant chaque fois que cela m’était possible, je revenais dans ma ville natale à la recherche de ce qui avait disparu à jamais, l’ombre des maisons qui s’étendait jadis sur mon visage, le foyer d’autrefois que j’avais quitté, et bien sûr, je ne trouvais rien, quel cours avait donc suivi le fleuve où dérivaient les brisures de ma vie ? Emerence était trop sage pour tenter l’impossible, elle réservait son énergie à ce qu’elle pourrait encore faire à l’avenir pour son passé (…) La porte - Magda SZABÓ
Les détails du livre
La porte
Auteur : Magda SZABÓ
Traducteur : Chantal PHILIPPE (As Ajto - 1987)
Éditeur : Le Livre de Poche
Prix : 7,90 €
Nombre de pages : 352
Parution : 1 février 2017
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Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!
Autres lectures de Carozine : Nageur de rivière : back to the USA (recueil de nouvelles de Jim Harrison).