La langue des bêtes : de la puissance de l’imaginaire
[Carozine dévore le roman La langue des bêtes - Stéphane SERVANT - dès 15 ans]27 Oct. 2015
Il pleut, mais c’est pas grave ! (C’est, du moins, ce que prétend le paillasson de ma chère maman.) Quoi de mieux pour fêter l’automne qu’un bon roman ? Hein ?! Vous savez, le genre de roman où vous pourriez bien être emporté par une tornade, comme Dorothy, mais vous ne vous en apercevriez même pas à force d’être concentré (de tomates), happé par les pages… du roman (jeunesse ?) La langue des bêtes, de Stéphane Servant. Je ne connaissais absolument pas cet auteur (enfin, je corrige : je ne le connaissais que de nom) et je suis absolument ravie d’avoir pu le découvrir… Mieux, je pense que je vais plonger le nez rapidement dans ses autres romans (je bigle sur Le coeur des louves). Car, oui, La langue des bêtes est ce genre de livre qui fascine et envoûte, avec lequel on passe un excellent moment et qui forcerait le plus obtus d’entre nous à admettre que, oui, la littérature jeunesse est un genre proche de la grande littérature, quand elle est bien menée. Et, non, ce n’est pas un sous-genre de pacotille. Du moins pas avec Stéphane Servant aux commandes.
Le Puits aux Anges s’ébroue lentement. Le soleil du matin vient dorer les épaves des voitures qui forment autour des caravanes un rempart étincelant. Au-delà, les grandes forêts de pins vibrent du chant vif des oiseaux. Des lambeaux de brume s’enroulent ça et là à la cime des arbres. Les restes d’un songe. Les toiles jaunes et rouges du chapiteau oscillent dans la brise, telles les voiles inutiles d’un immense navire échoué dans un dépotoir. La langue des bêtes - Stéphane SERVANT
La langue des bêtes : une Petite, un Cirque et des histoires merveilleuses… et terribles
Il était une fois Petite, fillette à l’âge indéterminé oscillant entre enfance et adolescence et qui vivait dans un lieu reclus, à l’abri des regards indiscrets des gens communs ne comprenant rien à rien, entre deux épaves de voiture : le Puits aux Anges, où se niche le Cirque, avec son vieux chapiteau décrépi et troué de partout. Petite est la fille d’un ogre, le Père (immense colosse barbu et grandement porté sur la gâchette, lanceur de couteaux, à la belle époque du Cirque), et d’une Belle, bien qu’amochée par la vie et la folie nichée en son coeur, qui, en son temps, était trapéziste dans un costume de diamants. A leurs côtés, dans ce Cirque cloué sur place pour des raisons sibyllines, gravitent un nain, Major Tom, un vieux clown (Pipo) et son vieux lion à qui il manque quelques dents (Franco), ainsi qu’un marionnettiste aux illusions perdues, Colodi (en hommage au célèbre papa de Pinocchio). Tout ce beau monde vivote et abreuve Petite d’histoires et légendes… jusqu’au jour où des piquets oranges viennent perturber l’harmonie du lieu, et en annoncer la perte. Avec eux se faufile le chantier de l’autoroute, qui traversera le Puits aux Anges, et, dans cette brèche béante, viennent bientôt s’agglutiner la bureaucratie et la scolarisation de Petite. Face à un monde qui s’écroule et à des mots inutiles, la solution ne serait-elle pas de faire revivre la Bête des légendes et, avec elle, la langue des bêtes qui unissaient hommes et animaux il y a fort longtemps ?
Le temps des histoires. Ce temps-là où la langue n’était pas autre chose que magie, capable de tous les sortilèges et de tous les maléfices.Ce temps-là où les hommes n’étaient plus tout à fait des bêtes mais où les bêtes parlaient encore la même langue que les hommes. Et les mots, ces mots oubliés, étaient un lien solide, un feu partagé, capable de tenir les ténèbres à distance. Bêtes et hommes partageaient les mêmes terreurs parce qu’ils savaient les uns comme les autres qu’ils n’étaient pas différents. La langue des bêtes - Stéphane SERVANT
La langue des bêtes : un roman magnifique et sombre, singulier et beau
Dès les premières pages, j’ai été envoûtée par l’écriture mélodieuse, sensuelle, mélancolique et rythmée de Stéphane Servant qui sait, avec brio, se plonger au coeur des pensées d’une Petite à l’écoute du monde (et en décalage permanent avec lui), d’une Bête assoiffée, d’un renard apeuré, d'un vieux lion fidèle ou d’un professeur énamouré… avec talent, Stéphane Servant nous plonge dans un monde où l’imaginaire est roi, où les histoires prennent le pas sur l’école, où les mots s’avalent pour guérir, où les Hommes refusent de sombrer dans l’oubli et de ne vivre que sur les vestiges d’un passé flamboyant. Et s’il suffisait d’inventer des contes pour embellir le quotidien ? La réalité pourrait-elle être contrôlée et mise de côté ? A travers La langue des bêtes, c’est l’industrialisation et la folie galopante des villes que Stéphane Servant évoque, le pouvoir des histoires, la beauté de l’enfance, la magie du rêve… Et ce, grâce à des personnages aux fêlures nombreuses et touchantes, aux personnalités troubles souvent plus complexes qu'il n'y paraît car, oui, même un ogre cache derrière sa férocité une certaine faiblesse ; mais également grâce à un décor poussiéreux et en ruines, magique malgré tout.
Chaque chose en ce monde est liée aux autres par des fils invisibles.(…) Le monde est une couverture d’histoires patiemment tissées. Choisir c’est nouer deux fils. Et c’est dans le même temps trancher tous les autres. Il n’y a pas de hasard. Et le chiffre qu’elle donnera dessinera sur la couverture un motif unique et les autres motifs disparaitront dans la nuit et ne seront jamais dévoilés (…).
— Il faut continuer à tisser. Peu importe le motif, Petite. L’important, c’est que la couverture soit chaude et douce (…). La langue des bêtes - Stéphane SERVANT
A l’image de la légende du Puits aux Anges, La langue des bêtes est de ces histoires terribles et magnifiques, cruelles et tristes, d’une beauté et d’un pouvoir infinis qui marquent les esprits. Avec de merveilleux talents de conteur, Stéphane Servant nous offre un bel hymne à l’imaginaire, nous pousse à croire aux histoires qui forgent notre destin, à l’image de la Petite qui deviendra Grande… La langue des bêtes est de la belle et grande littérature, où se côtoient fureur, poésie et amour ; un roman qui imprègne et envoûte (malgré quelques longueurs), mêlant avec grâce fantastique, légendes et réalité.
Peut-être parce qu’en dévidant l’histoire du Puits aux Anges, elle perçoit l’infinie beauté nichée dans l’écrin de peine et de crasse. Elle sait que la vie palpite encore. Que même si le chapiteau ressemble à une voile déchirée d’un immense navire à la dérive, il y a toujours un ailleurs. Une terre à venir. La possibilité d’une île. Une île sauvage où reposerait depuis un millier d’années un trésor profondément enfoui et dont l’enfance serait la clé. C’est ce que disent les histoires : le trésor est en chacun d’entre nous. La langue des bêtes - Stéphane SERVANT
Les détails du livre
La langue des bêtes
Auteur : Stéphane SERVANT
Editeur : Rouergue
Prix : 15,90 € [11,99 au format Kindle]
Nombre de pages : 448
Parution : 19 août 2015
Acheter le livre
Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!
Autres lectures de Carozine : P’tit Louis XIV : une vision fantasque du règne du Roi-Soleil.