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L'invention de nos vies : gloire, apparences et amour

[Carozine poursuit la rentrée littéraire 2013 avec L'invention de nos vies - Karine TUIL]

7 Oct. 2013

Place au troisième roman de ma pile pour le jury littéraire : L'invention de nos vies de Karine Tuil. Attention, poids lourd. Karine Tuil avec ce roman fait déjà partie des noms circulant pour le prix Goncourt (avec, entre autres, Sylvie Germain et ses Petites scènes capitales) mais surtout figure dans le top 10 des auteurs les plus vendus de la rentrée littéraire. Achtung achtung, comme qui dirait. L'invention de nos vies est un pavé qui se lit tout seul, malgré une écriture particulière qui est bien loin de me plaire et qui remet au goût du jour les phrases alambiquées mêlant les impressions de plusieurs personnages et une multitude d'informations, histoire de faire d'une pierre trois coups (voire plus), s'étalant sur des kilomètres et supprimant ainsi la notion même de paragraphe. C'est bien connu, le paragraphe, c'est surfait. En revanche, l'histoire tient en haleine par ses personnages qui ont le mérite de ne pas sombrer dans le manichéisme. Tout n'est pas perdu !

"Tu es à moi, tu m'appartiens", tant il était persuadé que les conflits se résolvaient par la prise de pouvoir sexuelle. L'agressivité comme ressort érotique. L'hostilité comme combustible du désir. Ils n'avaient trouvé que ça pour durer. Et elle se laisse faire alors qu'elle devrait le repousser, elle ne réplique rien - cette docilité soudaine, cette forme inattendue de placidité, c'est l'expression la plus terrible du détachement. L'invention de nos vies - Karine TUIL

L'invention de nos vies : une femme trop belle et deux amis chahutés par la vie

L'invention de nos vies - Karine TUIL [Ed. Grasset]
Il était une fois trois amis que la vie et les choix de chacun avait séparés après des années d'université, pur bonheur cristallisé. Sam Tahar est un Arabe parti à la conquête des Etats-Unis (plus exactement New-York) et, en puisant allègrement dans la vie quelque peu ratée mais diablement juive de son pote Samuel Baron, s'est créé une toute nouvelle identité : adieu l'éducation musulmane prodiguée par sa mère Nawel ; bonjour la vie idéale, sous un nom juif car cela aiderait à trouver un emploi d'avocat, avec une épouse se trouvant être la fille du plus grand (et puissant) industriel Rahm Berg… indéniablement juif jusqu'au bout des ongles. La célébrité de Sam Tahar prend soudainement forme sous les lignes d'un article du Times Magazine… que s'empressent de lire Nina Roche et son compagnon, Samuel Baron. Samuel est un écrivain raté, vivant dans une cité sordide et se complaisant dans la nullité de sa vie… malgré la femme magnifique qui vit à ses côtés et qui a eu l'extrême obligeance de le choisir, lui, plutôt que Samir Tahar, vingt ans auparavant quand il a eu la délicatesse de jouer la carte du chantage affectif : je me suicide si tu me quittes pour Samir. Mais la vie est loin d'être aussi figée et tout va se déglinguer avec allégresse quand les trois personnages se retrouvent dans un bel hôtel parisien et que Samir commet la grave erreur de renouer temporairement avec sa famille (loin d'être aussi morte qu'il ne le laisse entendre à New-York).

Il vaut mieux, pense-t-il, que ces plumitifs qui ne connaissent pas la violence, le manque, la peur au ventre, l'angoisse de sortir, la possibilité du meurtre, le goût du sang et du fer, qui ne savent pas ce que c'est que d'être réveillé en pleine nuit par un gosse qui gémit, des coups de fusil, des sirènes hurlantes, des voisins qui se cognent/courent/pleurent, ceux qui n'ont jamais changé de trottoir, de territoire, quand lui a tout vu, la misère/la merde/la mort, rien ne lui fait peur, il est dedans, et il y est bien, il n'échangerait pas sa place, le trou qu'il a creusé et où il finira par crever défoncé. L'invention de nos vies - Karine TUIL

L'invention de nos vies : question identitaire et conventions sociales

Karine TUIL [auteur de L'invention de nos vies]
Karine Tuil a placé la question identitaire au coeur de son roman L'invention de nos vies ; on n'y échappe pas, la lourde question de l'identité juive ou musulmane, des conventions sociales qui en dépendent mais surtout les projections parentales sur leurs (in)dignes rejetons transpire à chaque page. Qu'il s'agisse de Samuel, traqué pour son identité juive dans les cités dans lesquelles il est employé comme travailleur social, de Pierre Lévy qui accorde sa confiance à Sam Tahar en pré-supposant qu'il appartient à sa communauté juive, de Samir Tahar, déchiré entre son désir de gloire et de réussite qu'il s'entête à rattacher à une identité juive en jouant les victimes face à la sélection sur CV quand on possède un nom à consonance arabe (manque de bol pour lui, sa victimisation va tomber à l'eau quand il se retrouvera face au nouvel associé de Pierre Lévy, un dénommé Sofiane à la trombinette bien marquée) ou, enfin, de Ruth Berg, à l'existence facilitée par son père et marchant sur de la soie. L'invention de nos vies plonge dans l'âme humaine : désir de reconnaissance et de vengeance en imposant aux autres les marques vestimentaires (ou autres) de sa réussite, lutte pour la possession matérielle d'une femme qui rêve de liberté et d'amour pur… de vastes sujets pour un seul roman ! L'invention de nos vies se promène du luxe tapageur au sordide des cités où se déroulent les tournantes dans le confinement des caves, nous emporte du sommet d'où se délecte Samir Tahar jusqu'à sa chute vertigineuse. L'histoire de L'invention de nos vies a beau être parsemée de clichés, elle n'en tient pas moins en haleine et l'on est curieux de savoir quand (et comment) Samir perdra le contrôle de sa vie parfaite, comment Nina parviendra à se détacher d'un homme qui se complait dans la flagellation quotidienne du "je suis un raté". En revanche, fichtre et diantre, l'écriture est une abomination, un véritable calvaire : passons outre la crudité du vocabulaire pour nous concentrer sur le point faible de L'invention de nos vies, j'ai nommé les phrases à rallonge qui mélangent différents points de vue, nombre incalculable d'informations et l'utilisation irrationnelle des /. Bref. L'invention de nos vies est intéressant /intriguant /palpitant quand il s'agit des vies éparses de ces trois amis ayant chacun choisi de façonner différemment sa vie, mais terriblement agaçant /horripilant d'un point de vue stylistique (cependant, en ayant un peu parcouru les commentaires faits sur L'invention de nos vies, d'aucuns considèrent ce style comme "percutant"... tout n'est effectivement qu'une question de point de vue !). Petit atout qui m'a amusée : les notes de bas de page, qui sont légèrement farfelues et donnent des instantannés de vie parfois truculents.

Tu tiens un discours de faible, tu as une mentalité d'humilié. Cette façon de voir, de penser, c'est étroit, c'est petit… Cela laisse entendre qu'on est immuablement victime de ses origines, de son histoire, de son éducation. C'est faux. Tout, dans la vie, n'est qu'une question de détermination et de désir. Tout n'est qu'une question d'opportunités, de rencontres et de chances à saisir. L'invention de nos vies - Karine TUIL

Les détails du livre

L'invention de nos vies

Auteur : Karine TUIL
Editeur : Grasset
Prix : 20,90 €
Nombre de pages : 492
Parution : août 2013

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L'invention de nos
vies

7 octobre 2013

Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!

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. . Caroline D.