Tu n'as jamais été vraiment là : un concentré de noir intense

Attention, roman noir réfrigérant en vue ! Voici donc le second livre issu de la pile reçue il y a deux jours : Tu n'as jamais été vraiment là, de Jonathan Ames. Pour ceux à qui ce nom ne dit absolument rien, ne sonne aucune petite clochette au fin fond de leur cervelle ou ne réveille aucun neurone endormi, Jonathan Ames est l'auteur de la (pas terrible à mon humble avis, ou, dans l'optique de ne fâcher personne, disons plutôt, comme lorsque l'on se trouve devant une assiette de boeuf bourguignon absolument abominable, que cela ne me plaît aucunement) série TV Bored To Death. Malgré cette série ne convenant pas à mes goûts, j'étais tout de même curieuse de voir de quoi était capable Jonathan Ames en tant qu'écrivain. Et je dois dire que Tu n'as jamais été vraiment là a eu le mérite de me décoiffer sérieusement. Le monsieur sait y faire en matière de roman noir bien corsé, qui dépote bien comme il faut : en l'espace d'à peine cent pages, Jonathan Ames m'a cloué le bec. Avec Tu n'as jamais été vraiment là, court ne signifie pas mauvais, loin de là... mais intense.

Tu n'as jamais été vraiment là : un mercenaire et une gamine enlevée

Dans un univers bien sombre, il était donc une fois un homme de 48 ans (Joe), au visage aussi lisse que les fesses d'un nouveau-né, ancien Marine ayant combattu lors de la première guerre du Golfe en 1991, qui, après avoir fait un détour par le FBI et le service d'exploitation sexuelle des mineur(e)s, se retrouve à bosser pour un ancien flic et ancien détective privé, McCleary (dont le nez est loin d'être aussi clair que le nom pourrait le laisser supposer, suite à des années de whisky), mais surtout à retourner vivre chez sa vieille maman. Par une bien noire journée, Joe se voit confier une nouvelle mission pour le compte du tout nouveau sénateur d'Albany, Albert Votto… fils du précédent sénateur corrompu jusqu'à la moelle et impliqué avec la mafia. Votto junior vient de recevoir un SMS lui annonçant que sa fille chérie, disparue il y a 6 mois, supposément après avoir succombé aux charmes d'un bellâtre bidon sur facebook, se trouve dans un bordel de New-York. Joe est donc prié d'aller la récupérer, au pas de course, je vous prie.

Il s'était senti faiblir, une ombre encerclant les lisières de son esprit, puis il avait entendu une voix dire :
Ce n'est pas grave, tu peux partir, tu n'as jamais été vraiment là.
Mais aussitôt il déchira les sacs avec ses ongles et procéda lui-même à son lavage d'estomac. Après cela, le scénario de son suicide changea radicalement, pour ne jamais laisser un cadavre derrière lui, pour partir proprement. Un cadavre, c'est une abomination. Quand viendrait le moment de sa disparition, ça ne serait pas autre chose -un effacement total. C'est donc l'océan qui l'emmènerait. L'océan, qui ne verrait pas d'inconvénient à l'engloutir. Tu n'as jamais été vraiment là - Jonathan AMES

Tu n'as jamais été vraiment là : noir de chez noir

Dès les premières phrases, l'ambiance est donnée : Tu n'as jamais été vraiment là ne fait pas franchement dans le rose guimauve ou dans le gris perle nuancé. Que nenni. Jonathan Ames a choisi un personnage aussi sombre que l'univers dans lequel il évolue, un homme mis à mal par un père sadique et destructeur et qui, depuis, ne cesse de vouloir mourir. Cet anti-héros va se retrouver plongé dans une nébuleuse affaire de prostitution de mineure, de mafia toute puissante et d'hommes politiques bien lâches… et, par la même occasion, nous emporter dans les sinistres remous de l'âme humaine, les abominations auxquelles certains sont capables pour parvenir au pouvoir et la lâcheté. Tu n'as jamais été vraiment là se lit d'une traite, comme si l'on avait peur de se noyer dans ce flot d'horreurs… jusqu'à la terrible vérité qui clôt ce roman ténébreux. Jonathan Ames livre, dans un style épuré qui fait son effet, une pépite concentrée de roman noir, où la violence et l'amertume affleurent à chaque ligne.

Par la suite, Joe allait se rendre compte, tragiquement, que c'est à cet instant précis qu'il aurait dû planter là le sénateur Votto. Mais il resta. Il pensait que ce n'était pas la faute de la gamine si son père était un faible et un imbécile. Il lui demanda :
"Vous avez une photo d'elle ?"
Votto leva vers Joe son visage porcin mouillé de larmes. Il avait une tête de petit garçon obèse. De son portefeuille, il sortit une photo d'école, de sa fille en classe de quatrième, et la tendit à Joe.
"Elle s'appelle Lisa. Je vous l'avais dit ?" Tu n'as jamais été vraiment là - Jonathan AMES