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Hiver [Winter] : un roman so british qui éclaire différemment sieur Hardy

[Carozine découvre le roman Hiver - Christopher NICHOLSON]

2 Déc. 2015

Carozine lit le roman Hiver - Christopher NICHOLSON
En cette période hivernale où le visage rougit sous l’impact du vent froid et où le nez se plonge dans les écharpes, je vous propose, non pas de déguster une raclette, mais bien de lire… sous la couette (enfin, libre à vous, n’est-il pas, de lire debout dans le métro le nez contre l’aisselle de votre voisin, écroulé dans votre canapé avec votre chat venant fourrer son museau dans les pages, ou au chaud sous la couette). Aujourd’hui, je vous parle d’un roman britannique qui ne saurait renier son origine : Hiver, de Christopher Nicholson. Ca tombe plutôt bien, non, vu la saison ? Alors, hop hop hop, on file vers un « célèbre chef-lieu de l’ouest de l’Angleterre », dans un domaine perdu (à l’époque, du moins) derrière de hauts arbres masquant la demeure du propriétaire… qui n’est autre que Thomas Hardy. Car, oui, Christopher Nicholson nous envoie dans les dernières années de l’écrivain.

Cette allée était flanquée d’arbres et l’ombre était si dense entre leurs branches que le vieil homme paraissait surgir peu à peu d’épaisses ténèbres. Il portait une veste en tweed, une cravate en laine et un pantalon d’une couleur indéfinissable, et il était coiffé d’un chapeau à larges bords. Lorsqu’il arriva au portail, il s’arrêta et se pencha par-dessus le montant supérieur pour scruter le monde de l’autre côté. Sa moustache et ses sourcils étaient blancs, son visage marqué par l’expérience et les pensées de toute une vie. Hiver - Christopher NICHOLSON

Hiver : un écrivain au crépuscule de sa vie, sa femme… et les femmes

Hiver - Christopher NICHOLSON [ed. Quai Voltaire]
Alors qu’il a 84 ans (bel âge, vu l’époque !), Thomas Hardy vit des jours paisibles, retiré dans sa propriété perdue dans la campagne anglaise, où même l’électricité ne trouve plus son chemin. Sa seconde femme, Florence, alors âgée de 45 ans (jolie différence, hein ?!), partage sa retraite solitaire… accompagnée de leur vieux chien Wessex. Solitaire ? Pas tant que cela. Car, au fin fond de cette campagne anglaise, se trouve la petite ville de Beaminster, où la ravissante Gertrude Bugler, 25 ans, fait partie d’une troupe de théâtre amateur et s’apprête à endosser le rôle de Tess. Rien que cela. Et, en la voyant, le coeur d’artichaut de l’écrivain qui n’a jamais su résister aux femmes (ou n’a jamais voulu, d’ailleurs !) loupe plusieurs battements : il s’en entiche… quitte à soulever les foudres de sa femme qui voit bien qu'il y a baleine sous gravillon. Alors l'écrivain, qui a toujours refusé les représentations théâtrales de ses romans, accepte que Tess se montre sur scène, pour l'unique plaisir de côtoyer Gertrude, de l'admirer sur les planches. Au diable la vieille (eh oui ! 45 ans, c'est nettement plus vieux que les joues rebondies d'une jeune femme) Florence et ses jérémiades. Ou presque. Car la jalousie est un combustible qui donne de la ressource !

Il se laissa aller à imaginer que les ombres vivaient hors du temps et qu’elles étaient pourvues d’un savoir et d’une conscience ; qu’elles n’étaient pas muettes, mais qu’elles avaient une langue et qu’elles pouvaient chuchoter ce qu’elles savaient du domaine invisible de l’au-delà. C’eût pu être le sujet d’un poème, l’ombre se livrant à un soliloque sur sa forme corporelle : s’il en avait eu l’énergie, il serait allé chercher une plume pour l’écrire. Hiver - Christopher NICHOLSON

Hiver [Winter en VO pour les puristes] : un roman étrangement envoûtant, comme les premières neiges

Hiver - Christopher NICHOLSON [ed. Quai Voltaire]
Il est particulièrement difficile de parler du roman Hiver, de Christopher Nicholson : ce n’est pas forcément un livre facile d’accès… et, pourtant, on se laisse emporter par cette écriture fluide et légère, parsemée d’un soupçon d’humour so british. L’intrigue du roman Hiver ne semble pas incroyablement étoffée de prime abord, et pour cause : il s’agit d’un roman intime, où l’action ne traîne pas à chaque coin de page, mais où, pourtant, tant de choses se déroulent entre les lignes. J’ai aimé me plonger dans la vieillesse de ce Thomas Hardy un brin mélancolique, éternel amoureux, écrivain jusqu’à la mort et jamais au repos, dont Christopher Nicholson éparpille de-ci de-là des fragments de vie et de carrière. Et, par-dessus tout, j’ai apprécié apercevoir cet écrivain que j’aime tant à travers une lorgnette différente : celle de sa passion passagère pour une ravissante fermière et de son mariage qui se délite à vue d’oeil. Car Florence n’est pas qu’une simple ombre dans ce roman de Christopher Nicholson. Bien au contraire. Hiver lui accorde plusieurs chapitres, alternant avec ceux destinés à Thomas Hardy (et pour lesquels Christopher Nicholson n’a pas osé s’approprier la première personne, comme il le fait pour la seconde femme, éternelle insatisfaite) : on y découvre une femme fragile, oscillant entre réalisme et déraison, étranglée de jalousie et de regrets… on nous dévoile sa nostalgie, sa douleur de ne pas suffire à un homme qui la réduit à une frêle silhouette, de ne plus être celle qui illumine l’écrivain, sa rancoeur de lui avoir tout sacrifié car, oui,fut un temps, elle aussi écrivait. Le roman Hiver réussit la prouesse de nous faire basculer dans l’esprit des trois protagonistes : Thomas Hardy et son obsession ; Florence et ses désillusions ; Gertrude et sa vision acerbe d’un mariage bancal mais également cette fascination pour l'écrivain charismatique. Grâce à cet équilibre, Christopher Nicholson nous offre un roman intelligent, divertissant et réjouissant. Oui, de voir des arbres se transformer en guerre des tranchées pour un couple qui déraille m’a grandement amusée. Enfin, le roman Hiver vaut pour cette vision subtile de l’écrivain, du vieil homme face à la mort et à son oeuvre, sa perception de la nature… de quoi réveiller l’envie de relire Thomas Hardy, bien qu’une facette peu reluisante de sa personnalité soit dévoilée dans ces derniers scintillements que retranscrit Hiver. Il en reste beau, car magnifiquement complexe.

Il se rendait compte qu’il s’agissait là d’une énigme métaphysique. il avait passé sa vie professionnelle à fréquenter les morts, les ressuscitant sous diverses apparences imaginaires ; il ne parvenait pourtant pas, quand on l’y acculait, à croire à l’existence d’une vie permanente après la mort, à tout le moins au sens d’une vie après la mort qui serait une prolongation de l’existence terrestre. Hiver - Christopher NICHOLSON

Les détails du livre

Hiver

Auteur : Christopher NICHOLSON
Traduction : Lucien d'Azay
Editeur : Quai Voltaire
Prix : 22,00 € [15,99 au format Kindle]
Nombre de pages : 320
Parution : 8 octobre 2015

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Hiver

2 décembre 2015

Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!

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. . Caroline D.