Histoire d'un chien mapuche : une fable envoûtante

Ah ! Aujourd’hui, ô joie dans les foyers endeuillés de bonnes lectures, ô trépidation intense des ménagères qui s’ennuient sévère, ô jubilation des employés de bureau qui ne savaient plus comment occuper leur pause déjeuner : nous retournons (bon, alors, ce n’est pas encore la fête du string, gardez-le encore un peu sur votre postérieur), pour une courte pause, sur les terres de la littérature adulte (*). Oui ! Et avec un coup de coeur, je vous prie ! Avouez que je fais les choses plutôt bien pour ce début de semaine. Car je vais vous faire voyager (je dis « je », c’est un poil présomptueux puisque c’est un autre qui a fait tout le boulot, mais passons) en Amérique du Sud, à travers la plume magique de Luis Sepúlveda, qui nous revient avec une autre fable : Histoire d’un chien mapuche. Je dis une autre car, si vous n’avez pas la mémoire en gruyère, vous saurez que Luis Sepúlveda m’avait déjà émerveillée l’année dernière avec son roman-fable Histoire d’un escargot qui découvrit l’importance de la lenteur. On reste dans la même veine. Je vous dis tout ! Ou presque. (Oui, il faut bien laisser un peu de surprise à la lecture, n'est-il pas, docteur Watson.)

Histoire d'un chien mapuche : un chien lancé sur les traces d’un Indien

Le chien traque un fugitif, l’Indien, sur les terres d’Araucanie. Il est mené par une troupe d’hommes peu amènes dont il sent la peur. Et pour cause : la nuit tombe et, avec elle, son lot d’inquiétudes et de bruits sourds. Entre les odeurs de la nuit et celles de ces hommes qui préfèrent ne pas le nourrir pour éveiller sa fureur, le chien retrouve l’odeur de ce qu’il a perdu. Car il n’a pas toujours été un chien malmené par des brutes épaisses. Il y a de cela plusieurs années, le chien était emporté par une autre troupe d’hommes, dans les neiges glacées des montagnes. Mais il tomba et les hommes poursuivirent leur chemin sans se retourner. Soudain, il sentit la chaleur de son sauveur : « nawel », le jaguar. Tandis que le chiot fragile qu’il était alors reprend des forces, le jaguar se rend compte que le chien n’est pas fait pour la vie des montagnes. Délicatement, il reprend le chiot dans sa gueule et le dépose dans un village mapuche, aux pieds de la montagne. Le chiot y est accueilli à bras ouverts par le chef du village, le vieux Wenchulaf, dont le petit-fils, Aukamañ vient de naître. Chiot et enfant grandissent ensemble, devenant des frères… jusqu’à ce que la troupe d’hommes armés débarque et sème la zizanie.

Histoire d'un chien mapuche : une fable magique et mélancolique

Histoire d’un chien mapuche s’inscrit dans la même collection des éditions Métailié que la précédente fable de Luis Sepúlveda : un petit livre cartonné dont les pages s’émaillent des illustrations fiévreuses et expressives de Joëlle Jolivet. Mais, au-delà de la forme, j’ai adoré retrouver la plume si particulière et envoûtante de Luis Sepúlveda. Entre conte et fable (oui, à la manière de La Fontaine, avec sa morale glissée entre deux pages), Histoire d’un chien mapuche expose la vie de ce chien exceptionnel. Avec lenteur et habileté, Luis Sepúlveda remonte les fils de cette existence escamotée, que ce soit celle de ce chien courageux et bien malmené, ou celle de Aukamañ dont le peuple est contraint de quitter les terres ancestrales. Il nous dévoile les raisons de cette traque et pourquoi ce chien est prêt à tout pour retrouver l’Indien. Avec Histoire d’un chien mapuche, on retombe sur les thèmes chers à Luis Sepúlveda de la préservation de l’environnement et de sa hantise de voir le poumon de la Terre terrassé par la folie des hommes… auxquels vient se greffer notre relation aux animaux. Au fil des pages d’Histoire d’un chien mapuche, j’ai de nouveau été émerveillée par cette façon inimitable de Luis Sepúlveda de raconter des histoires profondes et entières, sous un vêtement de légèreté ; des contes qui émeuvent et font vibrer.

(*) Bon. Je reconnais que l’on pourrait débattre du côté « adulte » de la chose. Certes, Luis Sepúlveda a conçu son Histoire d’un chien mapuche pour être contée aux enfants mapuches (et tous les autres). Mais cette fable est, à mes yeux, ce petit trait-d’union en pointillé, léger comme une plume, qui sautille entre les territoires de la littérature jeunesse et adulte.