En haut !

Daddy Love : l’Horreur a un nom… celui de Joyce Carol Oates

[Carozine subit le roman Daddy Love - Joyce Carol OATES]

9 Mai 2016

Carozine lit le roman Daddy Love - Joyce Carol OATES
Aujourd’hui, l’heure est grave. Oui, oui. J'ai retardé l'échéance depuis trop longtemps. J’enfile des semelles de plombs et un casque bleu, histoire que l’on ne m’attaque pas de jets de pierres (ce ne serait tout de même pas très sympathique, mais bon, sait-on jamais, s’aventurer à critiquer un monument de la littérature n’est jamais chose aisée). Je vais vous parler d’un roman que j’ai failli cent fois jeter par la fenêtre, déchirer… mais j’ai persisté, car « c’était offert de bon coeur ». Chose que je n’ai pas bien comprise, d’ailleurs, puisque je n’avais pas franchement été en extase devant le précédent roman de Joyce Carol Oates (souvenez-vous, il s’agissait alors de Carthage), mais bon. Avec un peu de surprise, j’ai donc découvert le roman Daddy Love dans ma boîte aux lettres et, après avoir lu la quatrième de couv’, c’est avec beaucoup d’appréhension que je me suis plongée dedans. « Quelle idée de faire un roman sur un sujet pareil » fut ma première réaction, suivie quelques secondes plus tard par : « Bordel… Ai-je véritablement envie de lire un truc aussi glauque ? ». Non. Mais je suis de nature curieuse et je voulais voir comment l'auteure allait se sortir d'un sujet aussi périlleux. Je me suis forcée. Mal m’en a pris. Joyce Carol Oates n'est véritablement pas ma tasse de thé. Et j'en suis sincèrement navrée.

« S’il te plaît, Robbie, donne-moi la main. »
Il le fit. Il tendit sa main potelée à maman, qui pressa ses petits doigts. Entre maman et son petit garçon de cinq ans, un courant frémissant de bonheur.
Le mot apophatique lui vint à l’esprit. Ce qui échappe au langage.
Il y avait tant de choses dans la maternité, découvrait-elle, qui échappaient au langage.
« Tu vois notre voiture ? La voiture de papa ? Tu te rappelles où nous nous sommes garés ? »
Cette voiture était la berline Nissan de papa. D’une couleur gris-vert de vieille pierre.

Daddy Love - Joyce Carol OATES

Daddy Love : David vs. Goliath

Daddy Love - Joyce Carol OATES [ed. Philippe Rey]
Par une effroyable journée, Dinah Whitcomb traîne son petit garçon chéri, Robbie, cinq ans, à travers les allées du parking d’un centre commercial, à la recherche de la voiture familiale… Elle essaie bien de garder le sourire, mais le fait est qu’elle ne se souvient absolument plus d’où elle a garé la voiture et son angoisse, trop perceptible, se transmet rapidement au petit garçon. Et, brusquement, un marteau s’abat sur la tête de Dinah et une main puissante s’empare de Robbie, l’enlève à sa mère qui tente malgré tout de se relever et de courir après le ravisseur. Daddy Love avait observé la mère et son fils depuis de longs moments, guettant le meilleur moment pour enlever le petit Robbie, afin de remplacer son précédent Fils, dont il s’était lassé. Trop vieux. Renommé Gideon, le petit garçon traverse les routes des Etats-Unis, à la suite de Daddy Love, prédicateur itinérant pour l’Église de l’Espoir Éternel. Chet Cash, auquel pas une femme ne résiste (le sex appeal du prédateur, je suppose), est bien déterminé à « reconditionner » Robbie, à faire de Gideon son fils bien aimé. Un peu trop aimé. Et l’horreur pour le petit Robbie /Gideon commence…

Quand les femmes touchaient les mains du Prédicateur, frôlaient son bras de leurs doigts ou se penchaient vers lui, tout sourires, pour murmurer à son oreille et l’inviter à dîner, le Prédicateur ne savait comment réagir et souriait d’un air crispé. Mais Daddy Love, lui, savait.
Le Prédicateur était fascinant pour Daddy Love, mais seulement pour une période de temps limité. Et puis le Prédicateur gagnait de l’argent de temps à autre. Vous ne pouviez croiser le regard bienveillant du Prédicateur sans être démangé par l’envie de lui ouvrir votre portefeuille car lui donner de l’argent, c’était le donner à Jésus-Christ lui-même —semblait-il.

Daddy Love - Joyce Carol OATES

Daddy Love : un roman glauque et dérangeant

Daddy Love - Joyce Carol OATES [ed. Philippe Rey]
…et pour nous aussi, d’ailleurs. Passons sur la scène de l’enlèvement fractionnée en plusieurs angles, pour nous concentrer sur le reste de Daddy Love. Et quel reste. Sur ce sujet plutôt vomitif, Joyce Carol Oates a décidé de ne nous épargner aucun détail ignoble (d'aucuns pourraient arguer qu'il n'y en a pas tant que cela, mais, pour moi, c'est déjà trop). D’une écriture digne d’un scalpel, elle analyse et cristallise l’horreur. Des phrases sèches et abruptes nous décrivent l’angoisse d’une mère face à la disparition de son fils, les années de fol espoir et d’attente qui détruisent le couple et la femme. Mais, surtout, Daddy Love nous plonge dans la vie de Chet Cash, dans sa vision du Fils qu’il tente de créer à son goût, en le disciplinant tel un Pavlov monstrueux et dégénéré. Et cette partie s’éternise. Aucun moyen d’échapper à l’atrocité. Pourquoi ai-je poursuivi, alors que j’ai singulièrement détesté être placée dans cette situation de voyeurisme ? Parce que la quatrième de couverture m’avait laissé entrevoir un après. Et je me suis raccrochée à cet espoir d’une reconstruction. C’était mal connaître Joyce Carol Oates. Son Daddy Love ne laisse filtrer aucune lumière. Alors, oui, on pourrait saluer la performance de l’écrivain face à un tel sujet. Mais ne sommes-nous pas déjà au courant que les monstres se promènent librement parmi nous et pourraient bien se cacher derrière notre charmant et charismatique voisin ? On pourrait également admirer cette façon de nous glisser dans la tête de ce prédateur. On pourrait applaudir cette vision de Robbie, qui passe de ce ravissant bambin pétillant d’intelligence à un taciturne enfant trouvant une échappatoire dans le dessin et, malgré des années de lavage de cerveau effréné, parvient à sentir le moment où sa vie est réellement en danger. On pourrait également s'extasier devant ces travers de la société que Joyce Carol Oates passe au crible et expose sous une lumière crue (et en cela, elle excelle, il faut l'admettre). Personnellement, je me demande surtout ce qui pousse Joyce Carol Oates à autant écrire sur l’horreur psychologique et les esprits dérangés. Ce que je sais, en revanche, c’est que je n’essaierai plus. Joyce Carol Oates n’est pas pour moi. Malgré certains passages justes et humains sur la souffrance des parents, cette façon de disséquer l’âme maternelle. Son Daddy Love est un roman profondément dérangeant, glauque et insoutenable. Le thème de la famille à travers le prisme du traumatisme aurait pu m’intéresser, de même que l’effrayante question du retour de l’enfant brisé (est-il véritablement possible de retrouver son petit garçon après autant d’horreur ?), mais trop, c’est trop. On aura qu’à dire que je ne comprends rien à rien.

Le coeur de Gideon s’était serré à ces mots. Mais Daddy Love disait juste ça comme ça. (Non ?)
Il était difficile à Fils de ne pas croire que Daddy Love lisait dans ses pensées.
Longtemps auparavant, quand il était venu vivre avec Daddy Love comme son fils « adoptif », Daddy Love avait certainement eu le pouvoir de lire dans ses pensées.
La moindre pensée rebelle, Daddy Love la percevait. Fils le savait !
Gideon ricanait de ces craintes. Maintenant qu’il avait onze ans, personne ne lisait dans ses pensées à lui.

Daddy Love - Joyce Carol OATES

Les détails du livre

Daddy Love

Auteur : Joyce Carol OATES
Traducteur : Claude SEBAN
Éditeur : Philippe Rey
Prix : 18,00 €
Nombre de pages : 272
Parution : 7 avril 2016

Acheter le livre


Daddy love

Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!

Autres lectures de Carozine : Silo [Wool] : de la dystopie bien faite.

9 mai 2016

. . Caroline D.