Contre-enquête sur la mort d'Emma Bovary : un peu de remue-ménage chez Flaubert

Cela faisait des lustres que, ô crime de lèse Carozine, je n'avais pas eu le temps de tourner les pages d'un livre. Je profitais donc du week-end dernier et de ses journées plutôt moroses pour rattraper mon retard et me plonger dans un roman dont le principe m'avait fortement divertie, imaginez un peu une plongée dans la fin de sieur Flaubert, que dis-je, un remodelage de l'une des oeuvres les plus barbantes (oui, le couple Bovary est abominablement terne) : Contre-enquête sur la mort d'Emma Bovary, de Philippe Doumenc. Vous me direz, ma pauvre Carozine, tu n'apprends décidément rien de tes erreurs, ne te souviens-tu donc pas de l'effroyable La solitude du docteur March, qui vit s'abattre sur lui l'infernal couperet de la page 100 ? Certes. Mais j'apprécie de n'en faire qu'à ma tête et j'avais jeté mon dévolu sur Contre-enquête sur la mort d'Emma Bovary. Et je fus loin d'être déçue. Non seulement Emma Bovary y est ici pétillante et diablement moderne, mais l'histoire est également rondement menée, avec une petite note de fantaisie qui n'a rien pour me déplaire.

Contre-enquête sur la mort d'Emma Bovary : un mari cocu et des amants… nombreux

Par une froide nuit enneigée, Emma Bovary agonise, à l'aube de ses 26 ans, après avoir ingurgité de l'arsenic (30 grammes, très précisément et nous verrons, docteur Watson, que la précision est le fin mot d'une enquête promptement réglée), entourée de son mari, du pharmacien du village et de deux éminents docteurs en provenance directe de Rouen… autant dire que, quand on habite Yonville, cela pourrait aussi bien être Napoléon en personne (bien que le petit Corse hyperactif était alors décédé). Mais, coup de théâtre, de retour à Rouen, l'un des éminents docteurs présents lors de cette funeste nuit, le professeur Larivière, avertit séance tenante le commissaire Delévoye qu'il ne s'agit en aucun cas d'un suicide mais bel et bien d'un meurtre. La perspective d'un crime émoustillant notre brave commissaire nettement plus que la rubrique des chats écrasés, ce dernier saute dans la première diligence avec son fringant subalterne, Rémi, pour se rendre dans la demeure de Charles Bovary. Les habitants de la calme bourgade de Yonville voient ainsi débarquer un commissaire ne mâchant pas ses mots et n'ayant que bien peu de diplomatie, un jeune policier fouineur mais malléable et un médecin légiste auquel on donnerait le bon Dieu sans confession. Parmi les suspects de cette enquête qui dérange en haut lieu (le rapport d'autopsie disparaîtra fort à propos !) : un mari cocu et balourd, un ancien amant (Léon) fauché, un austère pharmacien, un commerçant avide de ferrer la bonne poire qui s'enlise dans un profond ennui et le charismatique Rodolphe, également prétendant au titre d'amant de la belle Emma, châtelain de son état et appréciant particulièrement la débauche.

Contre-enquête sur la mort d'Emma Bovary : réjouissant

Partant de la folle supposition qu'Emma Bovary n'est absolument pas morte d'un suicide causé par un incommensurable ennui et une certaine incompatibilité avec la réalité mais bien des mains d'un meurtrier sans vergogne, Philippe Doumenc se livre avec délectation dans le périlleux exercice qu'est le remodelage littéraire. Et le pari était risqué, si l'on se fie aux bribes revenant du plus profond de notre mémoire qui nous murmure que Emma Bovary était tout aussi soporifique que son mari. Certes, elle suffoquait d'ennui, mais nous également. Contre-enquête sur la mort d'Emma Bovary prend chaque petit détail égrené par Flaubert pour mieux le tordre et l'adapter à la fin que Philippe Doumenc imagine pour une Emma dévergondée, criblée de dettes et passionnée. La mort de la première femme de Charles s'enveloppe ainsi d'un lourd manteau de mystère et de suspicion, tandis que le rapide mariage de Charles et Emma soulève un pan peu glorieux du caractère de la belle brune. Philippe Doumenc s'amuse même à faire revivre Gustave Flaubert lors d'un enterrement pompeux. Contre-enquête sur la mort d'Emma Bovary nous fait découvrir une Emma bien différente de l'apathique personnage dont j'avais le souvenir ; à travers les témoignages recueillis, elle est tantôt frivole, adultère et rusée, ou passionnée et fougueuse, à mille lieues de la vision romantique que nous en avions, ou enfin rêveuse, ardente et tourmentée. C'est une Emma Bovary aux facettes nombreuses et fugitives que nous offre Philippe Doumenc et c'est un véritable plaisir.