Version officielle : la paranoïa faite art
[Carozine dévore le roman Version officielle - James RENNER]
Amis complotistes, bonjour ! Maintenant que ma vie semble à nouveau sur des rails (du moins, je le souhaite de tout coeur), je vais titiller aujourd’hui l’inconscient collectif. Vous êtes persuadés que les champs de maïs américains cachent des camps de concentration ? Que les gouvernements (oui, après tout, pourquoi se contenter d’un singulier ?) vous intoxiquent à longueur du journée ? Oui ? Bienvenue ! Avec le roman du jour, Version officielle, vous serez en terrain connu. Limite James Renner apportera même de l'eau à votre moulin. À l’inverse, vous levez les yeux au ciel dès qu’un ami évoque les désormais célèbres « chemtrails » ou vous prévient qu’il faut avaler de la cannelle en intraveineuse pour lutter contre tous les dangers dont les gouvernements nous assaillent ? Pourquoi ne pas sortir un peu des sentiers battus ? Là encore, le roman du jour, signé James Renner, est fait pour vous : Version officielle vous emmènera aux confins de la paranoïa, dans un voyage complètement déroutant et franchement dément. Une nouvelle trouvaille des éditions Super 8.
Le chef scout faisait les cent pas devant la morgue, une cigarette dans une main et un sac poubelle en plastique noir dans l’autre. C’était un homme grand habillé tout en flanelle, à la peau burinée par le soleil et une vie à la dure. En entendant la berline du coroner entrer sur le parking gravillonné à l’arrière du bâtiment de brique trapu, il leva les yeux et jeta ce qui restait de sa Pall Mall sur les cailloux.
—Bon Dieu, Mason, ça fait une demi-heure que je t’ai appelé, dit-il à l’homme bedonnant qui s’extrayait péniblement de la voiture. Version officielle - James RENNER
Version officielle : un homme porté disparu, des dates qui entrent en collision et un historien perdu
Par une sombre journée, Earl Mason, coroner de Somerset, au fin fond de la Pennsylvanie, se retrouve face à un sac poubelle rempli d’un bras velu, limite simiesque, doté d’une montre en or sur laquelle sont gravés un nom et une date : Tony Sanders, 2012. Sauf que voilà. À force d’avoir épluché les noms du tristement célèbre vol 93, Earl Mason sait pertinemment que Tony Sanders était sur la liste des passagers du vol qui s’est écrasé en 2001 lors des attaques terroristes. Comment la montre pouvait-elle être datée de 2012 ?
En revenant quelques instants en arrière, nous changeons également de personnage : Jack Felter est historien et habite Cleveland. Il prend néanmoins la route vers sa petite ville natale de Franklin Mills afin de rejoindre sa soeur, Jean, qui s’occupe de leur père atteint de démence, Le Capitaine. Mais Franklin Mills est également la ville où son coeur est resté, bien des années auparavant quand sa petite amie de l’époque, la jolie Sam, a choisi de se mettre à la colle avec leur meilleur ami commun, Tony Sanders. Alors quand Sam vient lui demander de l’aide pour retrouver le corps de Tony, dont elle est persuadée qu’il s’est suicidé, l’empêchant ainsi de collecter l’argent de l’assurance vie, Jack ne réfléchit que quelques heures… et partira sur les traces de Tony Sanders. En commençant par rencontrer le dernier client de ce psychiatre toujours sur le fil du rasoir : Cole Monroe, adolescent perturbé interné dans un asile depuis trois ans.
Plus tard, Jack eut le temps de se demander comment tout avait commencé. Il comprenait comment ça s’était terminé. Par la trahison, la destruction, la mort. Mais comment cela avait-il commencé ? Pouvait-il remonter le fil de son histoire jusqu’à cet instant précis où il aurait pu tous les sauver, et le monde aussi ? Oui. Il le pouvait. Et il fut surpris de découvrir que c’était un instant somme toute ordinaire. Version officielle - James RENNER
Version officielle : plongée fracassante dans le monde des complots et secrets d’État
Le roman de James Renner titille, que l’on ait les pieds bien accrochés au sol ou que l’on soit déjà porté sur les diverses théories du complot. Lentement mais sûrement, Version officielle distille sa paranoïa et nous emporte dans cette folie collective qui semble finalement loin d’être si abracadabrante. Utilisant l’intrigant personnage de Cole Monroe pour nous faire plonger tête la première dans le complot, Version officielle commence par évoquer le fluorure que le gouvernement américain (mais pas que ?) introduit dans l’eau potable afin de nous faire oublier. Quoi ? Mystère. Bon. Forcément, on sourit avec indulgence. Cependant, James Renner s’amuse à exposer chaque célèbre théorie du complot en adoptant le point de vue paranoïaque de Cole, mais également celui plus circonspect de Jack. Alors quand Jack sombre, il nous emporte dans sa chute. Et oui, on en viendra à aller discrètement vérifier l’étiquette de son dentifrice. Posant les bases de notre paranoïa dans la première partie, Version officielle s’oriente ensuite vers une fuite effrénée flirtant avec des velléités de sauver le monde de cet oubli malsain dans lequel nous croupissons. L’apothéose du roman étant, nécessairement, la cerise sur le hamburger de la théorie du complot. Les personnages sont attachants et bien travaillés ; l’écriture, ciselée et rythmée. Alors, oui, j’ai beau ne pas être convaincue par ces chemtrails, fluorure et autres maladies étranges avec lesquelles nous polymérisons, j’ai été intriguée par Version officielle et curieuse de voir jusqu’où James Renner allait me conduire (tout en étant un ch’touille sur la défensive), avec ses théories farfelues qui mènent à la dérangeante question : les amateurs de théorie du complot sont-ils de gentils illuminés à côté de la plaque, ou sont-ils les fous du roi d’un roman classique et dont le rôle est de nous éveiller à la vérité ? Ah. Je vous laisse trois heures avant de ramasser les copies. Alors, certes, ayant déjà eu un aperçu de ces théories en discutant autour d'un cocktail avec un ami relativement perché, Version officielle n'a pas toujours apporté sa dose de surprise, mais plutôt un sourire en coin "Tiens, toi, je t'attendais au tournant". Il n'en reste pas moins que Version officielle est un roman original, jouant avec le thriller, et qui ne laissera pas de marbre par ses manipulations de l'esprit. Peut-on réellement faire confiance à sa mémoire et à son cerveau ? Que de questions philosophiques ! De quoi vous faire cogiter un peu pendant votre prochaine réunion rébarbative avec l'équipe commerciale.
Cole avait réveillé ce qu’il y avait de pire en Tony. Leur folie était récursive. Cela avait vraiment dû être horrible pour ce dernier, de sentir les murs protégeant sa raison s’effondrer, sa santé mentale s’effriter pour devenir une énergie en expansion, un ampli tourné vers un micro, prêt à exploser.
S’abandonner à l’étreinte fraîche des eaux du lac Claytor devait avoir été une douce délivrance. Version officielle - James RENNER
Les détails du livre
Version officielle
Auteur : James RENNER
Titre original : The Great Forgetting
Traducteur : Caroline NICOLAS
Éditeur : Super 8
Prix : 21 €
Nombre de pages : 487
Parution : 9 février 2017
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Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!
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