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Sarah Thornhill : amour et rédemption pour un roman captivant

[Carozine dévore le roman Sarah Thornhill - Kate GRENVILLE]

16 Fév. 2015

Il y a de cela quelques jours, j’avais été intriguée par l’histoire d’un roman paru il y a quelques mois déjà aux éditions Métailié : Sarah Thornhill, de Kate Grenville. Pour être honnête, ce qui m’avait le plus attirée dans ce livre était qu’il s’agit d’un écrivain australien (et jusqu’au récent Une vie entre deux océans, je n’avais pas eu l’occasion d’en lire beaucoup) et j’étais particulièrement curieuse de découvrir son univers, le pays de ses origines. Et je n’ai pas été déçue : Sarah Thornhill fut un merveilleux plongeon dans le passé un brin chaotique de ce pays pas si vieux que cela (bon, il faut bien dire que la naissance d’une nation est toujours un poil chaotique, en cela, l’Australie ne fait pas vraiment bande à part) et dont on connait bien souvent nettement moins l’histoire que son rival américain. Pour les curieux et âmes avides de découverte, Sarah Thornhill est le roman parfait : un soupçon d’Autant en emporte le vent et une bonne rasade du cru australien.

Pour ceux qui avaient fait fortune, comme Pa, on parlait plus de banni ni d’avoir porté la casaque. Il était maintenant de ceux qu’on appelle les vieux colons. Restait encore du grand monde qui refusait de mettre les pieds sous la table d’un affranchi ou de l’inviter sous son toit. Impossible pour ces gens d’effacer la souillure du bagne. Vous portiez la souillure, vos enfants aussi et les enfants de vos enfants. Mais pour d’autres, l’argent lissait la rudesse du passé et l’habillait de mots nouveaux. Sarah Thornhill - Kate GRENVILLE

Sarah Thornhill : secrets de famille ; amour et résignation

Le roman Sarah Thornhill - Kate GRENVILLE [Ed. Métailié]
Il était une fois un pays tout neuf (et peuplé d’aborigènes) vers lequel une Angleterre, un brin empêtrée dans les filets de ses lois et des bagnards que cela générait, reléguait ses « poubelles » : les bagnards, une fois affranchis, débarquaient frais comme des gardons sur les rives australiennes pour y installer leur propriété terrienne, bien déterminés à gagner largement leur vie et à compenser leur passé peu reluisant. Parmi eux se trouvent William Thornhill et sa progénitude, dont la pétillante et dégourdie Sarah Thornhill, qui pousse comme une sauvageonne dans ce pays où l’éducation n’est pas tout à fait le centre des priorités… le pauvre homme est également doté d’une nouvelle femme franchement crétine et décidée à mettre toute son ignorance au service de sa maigre ambition. Sarah grandit donc au coeur de paysages sauvages, sur les bords du fleuve Hawkesbury où la « bonne société » des affranchis reste entre elle. Mais voilà… la famille Thornhill recèle un sombre secret, dont le fils aîné, Dick, semble être le détenteur à jamais silencieux : il a pris la poudre d’escampette et a fondé sa famille, à quelques encablures de la maison Thornhill mais sans jamais y remettre les pieds. Le mystère entoure son départ et Sarah se heurte systématiquement à un mur outragé quand elle aborde le sujet. Et, surtout, il y a Jack Langland : enfant né de l’un des affranchis et d’une « naturelle », il possède le coeur de Sarah et tous deux sont bien décidés à vivre heureux, sur un petit lopin de terre… jusqu’à ce que l’arrivée de la fille un poil noiraude de l’un des fistons du Pa vienne chambouler leur destin pas si inscrit dans la pierre.

Mieux vaut se tourner vers l’avenir, mon coeur, qu’elle m’a dit. Je me tourne jamais vers le passé. Jamais au grand jamais. Et c’était comme ça sur l’Hawkesbury. Tout était enfoui, caché ; les falaises et escarpements nous bloquaient depuis toujours dans l’étroite vallée. J’aurais bien voulu les repousser pour voir clairement toutes les choses que les gens savaient mais dont ils refusaient de parler. Sarah Thornhill - Kate GRENVILLE

Sarah Thornhill : un roman envoûtant

Sarah Thornhill - Kate GRENVILLE
Il faut s’accrocher pour pénétrer le monde et la pensée de Sarah Thornhill : Kate Grenville a pris le parti d’épouser le point de vue de Sarah mais surtout sa manière de parler et de réfléchir, où dialogues et narration se confondent jusqu’à former une sorte de monologue diffus et envoûtant. L’écriture adopte le ton vif et imagé de Sarah Thornhill, sa vision forcément biaisée des choses. Sans fioriture mais avec une certaine fluidité, Kate Grenville nous relate l’histoire de cette famille, de ce pays récent et de ses anciens bagnards convertis en citoyens convaincus de leur bon droit. Le personnage de Sarah Thornhill est captivant : fillette volontaire et futée, elle se transforme en une jeune femme passionnément amoureuse d’un homme que sa famille lui interdit, puis en une femme résignée qui découvre l’amour véritable, le bonheur et la rédemption. Néanmoins, on aimerait qu’elle s’intéresse un peu plus à son passé trouble, qu’elle n’abandonne pas sa quête aussi rapidement : qui est Dick Blackwood ? Quel est le secret que sa famille souhaite faire disparaitre au gré des remous de l’eau ? On se dit que, peut-être, les fils du destin auraient pu être noués différemment si elle avait posé les bonnes questions au bon moment. Le roman Sarah Thornhill conte avec sensibilité et humour les moeurs de cette époque : la micro-société des affranchis ; les voleurs de grand chemin qui font main basse sur les récoltes pour lesquelles les hommes ont tant sué ; les femmes bornées ne voyant pas vraiment plus loin que le bout de leur nez ; ou cette façon qu’ont les hommes, quelle que soit l’époque, de s’approprier des terres qui ne leur appartiennent pas… Alors, certes, le sujet a déjà été traité de nombreuses fois et le personnage de Ma sombre un tantinet dans la caricature, mais il n'empêche qu'il se dégage du roman Sarah Thornhill un certain charme. Que l’on plonge ainsi dans la vision de Sarah Thornhill fait qu’il manque des pièces au puzzle mais il est trop tard : nous sommes pris dans les filets de Kate Grenville et cette vision partielle de l’histoire titille la curiosité. Lentement mais sûrement, Sarah Thornhill gagne en profondeur, en intensité pour devenir un roman émouvant, à l’écriture limpide, qui rappelle par bien des aspects Autant en emporte le vent (le décor historique et les relations entre peuples, la situation des femmes et la bien-pensance -l'hypocrisie ?- de la bonne société, notamment) bien que nettement moins sentimental et beaucoup plus âpre, à la forte odeur de passion pour ces terres sauvages tantôt désolées et luxuriantes.

J’ai regardé la poussière jaune, là où son pied s’était posé. Comme s’il allait revenir si je regardais assez longtemps. Je retenais mon souffle, j’attendais. Une bouffée de vent a agité les buissons, s’est enroulée par terre et redressée en emportant la poussière et les feuilles. Elle a tourbillonné comme une chose vivante, puis elle est retombée sur elle-même, poussière sur poussière. Sarah Thornhill - Kate GRENVILLE

Les détails du livre

Sarah Thornhill

Auteur : Kate GRENVILLE
Editeur : Métailié
Prix : 22 €
Nombre de pages : 255
Parution : mai 2014

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Sarah Thornhill

16 février 2015

Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!

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. . Caroline D.