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Mary : quand la spirale de la folie nous absorbe [rentrée littéraire 2015]

[Carozine découvre le roman Mary - Emily BARNETT]

26 Oct. 2015

Carozine lit le roman Mary - Emily BARNETT
Aujourd’hui, nous revenons à la rentrée littéraire 2015 avec un premier roman franchement atypique et qui éclabousse un peu le paysage littéraire : Mary, d’Emily Barnett (contrairement à ce que laisse entendre son nom de famille, Emily Barnett écrit en français et travaille même comme critique littéraire ou cinématographique aux Inrocks et France Culture, entre autres)… qui m’a laissé une impression mitigée, notamment car je ne suis pas certaine d’avoir bien compris le roman, et c’est toujours embarrassant d’avoir à l’avouer au monde entier (même s’il se limite à mes lecteurs !). Avec Mary, Emily Barnett a été comparée à Laura Kasischke (dont j’avais lu l’intrigant roman Esprit d’hiver), avec raison… mais nous y reviendrons !

Je m’appelle Mary. C’est un nom.
L’anniversaire, on l’a fêté à l’hôpital. Une ambulance nous a ramenées à la maison.
Dans le véhicule, un soleil d’été transperce les rideaux, il révèle les contours d’une civière. Je fixe la paroi translucide entre nous et le chauffeur. L’infirmier lui parle ; nous sommes censées, maman et moi, avoir nos propres conversations. L’homme en blanc mastique un chewing-gum. Le mouvement de sa mâchoire m’apaise.
Je me concentre sur cette vision, loin de sa densité, de sa force. Mary - Emily BARNETT

Mary : deux Mary pour une même intrigue… ou presque

Mary - Emily BARNETT [ed. Rivages]
Mary est une adolescente vivant dans un étrange (et presque menaçant) château en bord de mer, avec une mère malade, dont un infirmier se défait négligemment en déposant la valise dans l’allée. Mary est assaillie de toute part de pensées terrifiantes qu'elle note avec fébrilité dans un carnet, tandis qu’elle habille sa mère et la promène telle une poupée de chiffon. Mais Mary est également une jeune femme, dans les années 50, récemment mariée à un artiste bohème, insouciant et frivole. Cette jeune femme qui cède aux apparences sociales se délite de l’intérieur, entre des conventions et un carcan moral qui ne lui conviennent pas, un mariage sur la brèche et des espoirs de liberté. Après avoir trouvé un emploi de secrétaire auprès d'une psychiatre, Mary se retrouve rapidement expatriée en France, à Paris, pour suivre son mari, Jim, dont la carrière vient de décoller. Piégées par la vie, ces deux Mary vivent en parallèle, tissent des liens graciles entre leurs époques, et se débattent. Qui sont-elles réellement ? Sont-elles aussi innocentes et touchantes qu’elles ne le laissent entendre ?

Je songe à cette situation étrange. Au fait de passer mes jours à contempler le massif mystérieux et l’océan de diamants. Je pense à ma mère kidnappée par ses abîmes intérieurs, par ces creux invisibles que personne ne voit. Dans mes bras, elle pleure parfois. Je la console. Moi sa fille. Moi son enfant. Et voilà comment nous finissons toutes deux prises dans la toile d’un rêve, débattant nos pattes. Mary - Emily BARNETT

Mary : un roman oppressant, sombre et fascinant

Mary - Emily BARNETT [ed. Rivages]
Je vous disais en introduction que la comparaison avec Laura Kasischke était méritée : entre l’écriture qui nous laisse avancer dans le flou, nous déstabilise, et l’univers tout aussi fluctuant et vénéneux dans lequel évoluent les deux Mary, Emily Barnett a effectivement de quoi tenir de la romancière américaine. L’ambiance un peu désuète, l’esprit romanesque et gothique qui flotte sur le Mary d’Emily Barnett n’est pas, non plus, sans rappeler Daphné du Maurier (et je parle ici de Rebecca et non de sa formidable analyse de Branwell Brontë), tandis que l’analyse critique et sans concession des abysses de l’âme humaine, de la maladie mentale, nous évoque Tout ce que j’aimais de Siri Hustvedt. Mary emprunte donc aux meilleurs pour créer sa propre voie, avançant avec gracilité sur la frontière diaphane entre folie, imaginaire et réalité. Emily Barnett retrace les histoires de nos deux Mary par notes mélancoliques et abstraites. Et c’est un peu le problème que j’ai rencontré : on se laisse rapidement bercer par le flou dans lequel nous avançons, alternant entre les époques et les lieux, les souvenirs et les rêves ; on dévore Mary en se demandant où Emily Barnett va nous conduire, tout en ayant une vague idée… et, dans mon cas, j’ai achevé la lecture, perplexe, sans être bien certaine d’avoir compris les fils de l’intrigue et avec la désagréable impression d’avoir loupé un wagon. Un peu comme le chat de Schrödinger ou la fin de Mulholland Drive, voyez-vous. L'un de mes professeurs de lettres avait un jour avoué systématiquement entamer les polars par la fin, afin d'être libéré de l'intensité dramatique et de pouvoir se concentrer sur la trame du roman... Peut-être ai-je manqué les détails qui cimentent le récit, à force de vouloir mettre le doigt sur ce qui relie les deux Mary. Peut-être mon professeur était-il un sage. Et une nouvelle lecture s’imposera donc. Car, oui, Mary mérite d’être lu (voire relu, si besoin !) : l’ambiance romanesque un poil oppressante se mêle habilement à la réalité historique, les deux personnages féminins aux destins prisonniers sont fascinants dans leurs fêlures et leurs espoirs inaccessibles (La Mary des années 50 me fait d’ailleurs penser à une héroïne évanescente et complexe de Fitzgerald) et, surtout, Emily Barnett refuse la facilité, nous offre une intrigue élaborée, bien construite et habilement éparpillée, une langue vénéneuse. Le Mary d’Emily Barnett n’est pas un roman facile à lire, elle ne propose pas des héroïnes auxquelles on s’attache, s’identifie, et son écriture fluide, poétique, prend souvent des accents de terrible brutalité et d’extrême froideur. Non. Le Mary d’Emily Barnett est une intrigue oppressante, un questionnement permanent, un roman tout en ombres vaporeuses, un texte nébuleux, un envoûtement duquel on s’échappe difficilement.

Mary les guette un moment, puis reporte son attention sur l’imposante façade. Des gargouilles sortent de la pierre, sous les bosses de lierre, un vaste réseau de brindilles. C’est un immeuble ancien, datant du XVIIe ou du XVIIIe siècle. « Une autre manière de voyager dans le temps », songe-t-elle… Puis, ajustant son regarde sur la plaque en bronze qui jouxte la porte, elle tire sur la sonnette. Elle entend, derrière la paroi, des bruits de pas. Personne n’ouvre. (…) Une respiration, très nette, puis un frôlement se détachent de l’autre côté de la paroi. Elle se met alors à tambouriner contre la porte. Ouvrez-moi. Mais une voix, qui n’est pas la sienne, hurle à l’intérieur. Je veux sortir ! Mary - Emily BARNETT

Les détails du livre

Mary

Auteur : Emily BARNETT
Editeur : Rivages
Prix : 16,50 € [11,99 au format Kindle]
Nombre de pages : 187
Parution : 19 août 2015

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Mary

26 octobre 2015

Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!

Autres lectures de Carozine : Une contrée paisible et froide : du polar bien noir et concentré.

. . Caroline D.