Le secret du mari : destins de femmes tourneboulés (le destin, pas les femmes)

(Je vous préviens tout de suite, mon intro date d'il y a deux semaines... je suis encore plus en retard que le pauvre lapin d'Alice !) Si je ne me faisais pas la belle la semaine prochaine, je serais en train de me tourner les pouces sur un banc au soleil. Au lieu de cela, je m'ennuie comme un rat mort dans une salle qui sent les vieilles chaussettes et le tshirt usé d'un batteur après un concert de Death Metal. (Et oui. Les vacances ont toujours un prix.) Donc mon neurone se dit : autant profiter de la situation et vous parler du dernier roman de la sélection du mois de mai pour le Jury Le Livre de Poche (le second roman est passé à la trappe, je n'ai même pas réussi à terminer la lecture tellement il me tombait des mains) : Le secret du mari, de Liane Moriarty (comme le Super Méchant de Sherlock Holmes, oui oui). (Très honnêtement, cette introduction me parait d'autant plus obsolète que, depuis, j'ai entamé la sélection du mois de juin, et que je suis en train de m'embrouiller les pinceaux de mon vélo sans pédale avec les titres des sélections... Ah bravo.)

Pauvre, pauvre Pandore. Zeus lui confie une mystérieuse jarre et l'envoie ici-bas pour épouser Épiméthée, un type passablement intelligent qu'elle n'a jamais vu de sa vie. Personne ne lui dit de ne pas ouvrir la jarre. Bien évidemment, elle l'ouvre. De toute façon, elle n'a rien d'autre à faire. Comment pouvait-elle savoir que les maux les plus vils s'en échapperaient pour tourmenter l'humanité à jamais, et que seul l'espoir y resterait enfermé ? Une étiquette de mise en garde, c'était trop demander ?
Ensuite, tout le monde y va de son petit commentaire : "Ah ! Pandore ! N'as-tu donc aucune volonté ? Petite fouineuse, on t'avait bien de ne pas l'ouvrir, cette boîte. Typiquement féminin, cette curiosité dévorante (...)" Le secret du mari - Liane MORIARTY

Le secret du mari : un mari, une lettre et une femme normalement curieuse

Cecilia Fitzpatrick aurait tout pour être une femme comblée, si sa vie sexuelle n'était pas au calme plat depuis six mois, et surtout si elle n'était pas tombée sur une vieille lettre jaunie par le temps écrite pas son mari (et qui lui est destinée, tout de même), suite à une lubie de l'une de ses filles faisant une fixette sur le Mur de Berlin. Bref. Ouvrir ou ne pas ouvrir la lettre ? That is the question, my dear. Shakespearien s'il en est (ou, comme on le dit dans notre langue de Molière : cornélien). Ayant promis au téléphone à son mari de ne pas la lire, Cecilia fait taire sa curiosité... Mais l'attitude saugrenue de John-Paul qui farfouille dans le grenier en pleine nuit alors qu'il souffre de claustrophobie la pousse à la décacheter et à la lire, découvrant ainsi le secret de son mari. À quelques kilomètres de là, à Melbourne, Tess O'Leary voit sa vie s'effriter en apprenant que son mari est amoureux de sa cousine et meilleure amie, Felicity. Ni une ni deux, elle plie valise, embarque son fils (Liam) et file à Sydney trouver refuge chez sa mère (qui n'est autre que la soeur jumelle de la mère de Felicity, faut suivre !). Le temps de recomposer sa vie et de réfléchir, elle inscrit Liam à l'école du quartier : elle y rencontre ainsi Rachel Crawley, la secrétaire qui administre tout et dont la fille est morte assassinée il y a de cela bien des années. Le coupable à ses yeux ? Connor Whitby devenu professeur de sport (auprès duquel se pâment toutes les mères célibataires) à l'école, et ancien amour de Tess. Et devinez qui participe activement à la vie de cette même école ? Mais oui, Cecilia.

Tout ça, c'était à cause du Mur de Berlin.
S'il n'avait pas été question du Mur de Berlin, Cecilia n'aurait jamais trouvé la lettre et ne serait pas là, assise à la table de sa cuisine, à tenter d'ignorer la petite voix qui lui disait de l'ouvrir.
L'enveloppe, recouverte d'une fine pellicule de poussière, tirait sur le gris. Dessus, quelques mots d'une écriture aussi familière que la sienne, griffonnés au stylo-bille bleu. Au dos, une bande de ruban adhésif jauni. Quand l'avait-il écrite ? Visiblement, des années plus tôt, mais comment s'en assurer ? Le secret du mari - Liane MORIARTY

Le secret du mari : une fresque féminine de la vie de couple (entre autres)

Alors, franchement, le prologue du roman Le secret du mari m'a mise en joie : cette vision revisitée du mythe de Pandore était plutôt jubilatoire. Autant dire que j'étais dans d'excellentes dispositions pour la suite du roman de Liane Moriarty. D'une plume légère et parsemée d'humour, Liane Moriarty tisse finement les liens qui se resserreront autour de nos héroïnes. Toutes doivent faire face aux zones d'ombre qui teintent la vie. Toutes vont vivre un événement qui les pousseront à déconstruire le fil de leur existence, à analyser leurs choix, à braquer une lampe dans le moindre recoin pour y traquer la vérité. Comment réagir face à une vie qui s'effrite ? Quelle position adopter face à la cinglante vérité ? Le secret du mari nous offre, habilement tissés entre ces trois (et multiples !) destinées, les chemins saugrenus qu'adoptent nos vies pour un rire mal interprété, un ego meurtri... Et propose différentes voies vers la rédemption. Si Le secret du mari n'est pas un coup de cœur, j'ai apprécié ces destins de femmes aux caractères si différents et pourtant si promptes à se reconstruire pour être plus fidèles à elles-mêmes. Le secret du mari vaut pour les fêlures qui habitent en chacun de nous et que Liane Moriarty a su exposer au grand jour, dénudant les façades imposées par l'hypocrisie sociale. Elle a rendu ses héroïnes profondément humaines et attachantes (notamment Rachel, toute en forces et faiblesses, culpabilité d'avoir négligé un fils après avoir perdu une fille), ce qui rend Le secret du mari forcément très agréable. Ça ne suffit pas à en faire un chef d'œuvre, mais avoir une très bonne lecture sous la main, c'est déjà pas mal.

Elle s'assit, les sens en éveil, le coeur battant. Elle comprit aussitôt. Il était au grenier. Il n'y mettait jamais les pieds ! Elle avait vu la sueur lui perler à la moustache lorsqu'il avait fait une crise de claustrophobie. Il devait la vouloir coûte que coûte, cette lettre, pour s'aventurer là-haut.
N'avait-il pas dit un jour : "Il faudrait que ce soit une question de vie ou de mort pour que je grimpe au grenier" ?
C'était ça, cette lettre ? Une question de vie ou de mort ?
Cecilia n'hésita pas une seconde. Elle se leva et se dirigea droit sur le bureau. Elle alluma une petite lampe, ouvrit le tiroir supérieur du secrétaire (...) Le secret du mari - Liane MORIARTY