Fitzgerald, le désenchanté : the Lost Generation is back
[Carozine se délecte avec Fitzgerald, le désenchanté - Liliane KERJAN]16 Déc. 2013
Finalement, ce ne sera pas Venise en vedette de cette fin de semaine (oui, désolée, j'ai préparé l'article samedi sans le mettre en ligne, pas bien) mais bien le grand, le géant et génialissime Francis Scott Key Fitzgerald, dans une biographie nimbée de nostalgie signée par Liliane Kerjan. La présidente de l’institut franco-américain (oui, Docteur Watson, je cède à la facilité du "madame-je-sais-tout-grâce-à-wikipedia"), ayant déjà écrit une biographie de Tennesse Williams (un autre de mes auteurs fétiches), nous emporte dans le tourbillon que fut la vie de Scott et Zelda, des débuts difficiles à la reconnaissance des pairs, grâce à Gatsby le magnifique (mais mes oeuvres préférées n’en restent pas moins Tendre est la nuit et La fêlure, ainsi que le sublime recueil Un diamant gros comme le Ritz). Mais Liliane Kerjan nous dévoile surtout le couple fragile et éphémère, une Zelda figurant le must de la garçonne des années folles et un Scott figure de proue de ces années perdues.
Fitzgerald, le désenchanté : magique et palpitant
Le hasard fait tout de même bien les choses et quelques semaines après Ernest Hemingway (et Madame Hemingway), c’est donc au tour de Scott Fitzgerald de nous plonger dans les années folles et la Lost Generation qui en naît. Mais reprenons du début : nous sommes en 1896 et un faire-part facétieux, « Bienvenue petit étranger », annonce la naissance de Scott Fitzgerald, issue de l’union d’une riche famille irlandaise du côté maternel et d’un père à l’idéal chevaleresque mais peu doué pour le commerce. Scott intègre les plus grandes écoles (dont Princeton) et, malgré les différences pécuniaires qu’il ressent violemment, s’y sent comme un petit poisson dans l’eau : son intelligence pétillante lui ouvre les portes des clubs les plus privés et sa plume déjà prolifique lui permet de se faire une petite place au théâtre. Et, pendant que l’Europe sombre dans les affres de la première guerre mondiale, Francis Scott Fitzgerald vit sa première idylle, avant de s’engager dans l’armée, en 1917. Se produit alors la fulgurante rencontre avec Zelda, reine de beauté émoustillant les officiers dans les bals populaires et portant un prénom de bohémienne ; appréciant plus que tout la danse, les paillettes et le luxe, sans lequel elle est convaincue que la vie amoureuse s’enlise dans une affligeante routine, ses exigences financières reculent le mariage et présagent déjà un F.Scott Fitzgerald qui finira sur les rotules à force de tenter de la satisfaire.
En même temps, un de ses textes, Babes in the Woods, est publié dans The Smart Set. Fitzgerald, déjà perdu dans un monde de promesses ineffables, sent comme une métamorphose : l’amateur est devenu un professionnel, un auteur. Tout se sait vite dans le petit monde de l’édition. Immédiatement, les revues se montrent avides de le publier, il leur vent huit nouvelles. (…) Dès ce moment, toute la vie de Scott Fitzgerald sera animée par ce besoin incessant et jamais assouvi d’écriture, par cette course effrénée à la vente de ses textes. Fitzgerald, le désenchanté - Liliane KERJAN
Viennent ensuite les premières publications, la reconnaissance à travers ses héros désenchantés, cherchant le plaisir où il se trouve, dans les fêtes sans fin et l’alcool ; ces personnages inspirés de la vie de Fitzgerald fleurent bon l’anti-conformisme et vivent tellement avec leur époque que Scott Fitzgerald ne tarde pas à devenir la figure de proue de cette génération. C’est le début des années folles, de l’argent qui coule à flots (ou du moins qui est dépensé à flot quitte à s’endetter) et des arnaqueurs (Pozzi, bonjour !) ; Fitzgerald et Zelda s’installent à Paris où ils croisent le chemin de Ernest Hemingway et de ces Américains exilés faisant battre le coeur de la capitale et de la mode internationale : Zelda deviendra la référence en matière de garçonne et publiera même des éditoriaux retraçant l’essence même des années folles…
Les caricaturistes s’en donnent à coeur joie, croquant le monde des fêtards, Poulbot représente une jeune fille zigzaguante et gaie sous les yeux ahuris d’un maître d’hôtel : « Mais Mademoiselle est ivre ! » lui murmure-t-il, ce à quoi elle répond : « Attendez, vous allez rigoler quand vous verrez maman ! ». Fitzgerald, le désenchanté - Liliane KERJAN
Puis, enfin, c’est le vacillement du couple qui s’égare dans la folie de Zelda, laissant les liens paternels se nouer plus étroitement autour de la frémissante Scottie, qui prend de plus en plus le chemin de son père en intégrant de grandes écoles et en y écrivant des pièces de théâtre.
Fitzgerald, le désenchanté : flamboyant
Liliane Kerjan nous présente un Francis Scott Fitzgerald lucide et empli d’une vague tristesse, d’une angoisse latente et de l’éternelle peur de vieillir, de s’encroûter… un Fitzgerald qui a conscience du sol s’effondrant sous ses pieds, à force de vivre au-dessus de ses moyens, écartelé entre une femme exigeante (et potentiellement jalouse) et le désir de créer un grand roman, un roman qui marquerait son temps et les esprits… un peu comme le fit Ernest Hemingway qui devint étrangement son modèle. Fitzgerald, le désenchanté nous expose un couple mythique entré dans l’Histoire américaine par les écrits de l’un et l’allure de l’autre ; à travers les pages, c’est surtout le couple qui parait dans son plus parfait antagonisme : Scott Fitzgerald l’intellectuel et brillant écrivain, tenant un cahier scrupuleux des recettes et dépenses, l’époux fidèle et le père dévoué, et enfin la tourbillonnante Zelda, le luxe tapageur, les envies dévastatrices et le besoin de séduire. On découvre d’ailleurs l’opinion peu amène de Ernest Hemingway à son encontre et qui la perçoit comme une intelligence destructrice, jalouse de l’écriture de son mari (qui lui permet néanmoins d’avoir des fourrures en écureuil gris) et la soupçonne de perdre Scott dans des orgies alcoolisées sachant pertinemment qu’il serait incapable ensuite de travailler à son roman. Fitzgerald, le désenchanté est une biographie puissante et envoûtante, qui retrace de façon flamboyante une vie vécue sur les chapeaux de roue par un homme éternellement insatisfait sombrant dans l’ivresse pour anéantir la réalité. Liliane Kerjan fait revivre un écrivain merveilleux, dont les mots semblaient sortir de sa chair pour créer de parfaites illusions scintillant au fil des pages, à l’image de son héros le plus célèbre, Gatsby, à travers lequel déferlent les émotions d’une époque surannée mais pourtant tellement actuelle. Fitzgerald, le désenchanté nous rappelle surtout à quel point Scott a influencé le monde littéraire (jusqu’à Haruki Murakami, oui, oui) et enchanté des milliers de lecteurs. Avec cette biographie poignante et loin des clichés, Liliane Kerjan passe du succès fulgurant à la chute vertigineuse, conduisant à la mort prématurée de cet auteur exceptionnel qui n'abandonna jamais sa femme, se tua la santé pour subvenir à leurs besoins et déploya toutes les délicatesses d'un père envers sa fille bien-aimée... d'un homme mort sans un centime en poche et qui pourtant continue d'alimenter les passions.
Zelda est fréquemment malade mais la nuit leur appartient, ils se reconnaissent dans cette société qui consomme tout de suite ce qu’ils ne sont pas sûrs d’avoir le lendemain, comme s’ils ne croyaient pas vraiment dans leur avenir, en proie au déni de la nuit, au déni de la mort. Paris, la nuit, est une autre ville, tout y prend un visage différent, tout y devient exotique : double manière de s’émanciper dans le voyage. Fitzgerald, le désenchanté - Liliane KERJAN
Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!
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