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En même temps, toute la terre et tout le ciel : poétique et audacieux

[Carozine dévore le roman En même temps, toute la terre et tout le ciel - Ruth OZEKI]

9 Jan. 2014

Il était une fois, une rédactrice de blog régulièrement fauchée (et son frère en a même trouvé une rime « Carozine, à la ruine », il y a de cela bien des années, mais ne nous écartons pas de notre chemin littéraire, je vous prie, Docteur Watson) qui, par une belle journée, décida de tenter sa chance en participant à un concours organisé par Belfond, oui oui, sur l’abominable réseau social bleu qui semble pratiquer des lobotomies à tour de bras sur vos amis et leur fait perdre leurs neurones à la vitesse de l’éclair, le diabolique facebook. Bref. J’ai gagné. J’ai reçu En même temps, toute la terre et tout le ciel de Ruth Ozeki qui est comparée, en quatrième de couv’, à Haruki Murakami (que je vous ai fait découvrir ici à travers 1Q84, mais qui a pondu bien d’autres merveilles) et, à la lecture de la dame, on comprend mieux pourquoi. En même temps, toute la terre et tout le ciel mêle habilement poésie, horreur et mondes parallèles (ou presque) et j'ai été ravie de l'avoir eu entre les mains.

Hello !
Je m’appelle Nao, et je suis un être-temps. Vous savez ce que c’est, un être-temps ? Non ? Eh bien, si vous avez un moment, je vais vous le dire.
Un être-temps, c’est quelqu’un comme vous et moi, comme chacun de nous qui est, a été ou sera un jour. Quelqu’un qui vit dans le temps. Moi, par exemple, je suis en ce moment à Akihabara Electric Town, dans un maid café français. J’écoute une chanson triste, une chanson que vous avez déjà entendue dans le passé, qui est également mon présent, où j’écris ces mots, où je m’interroge sur vous qui faites partie de mon futur. En même temps, toute la terre et tout le ciel - Ruth OZEKI

En même temps, toute la terre et tout le ciel : une lignée particulière

En même temps, toute la terre et tout le ciel - Ruth OZEKI [Ed. Belfond]
Dans un café imitant lamentablement (et probablement largement à côté de la plaque) les cafés parisiens mais version fantasme nippon, la jeune Naoko, qu’elle raccourcit d’elle-même en Nao, décide soudainement de prendre la plume et de raconter sa vie, dans un journal masqué par la couverture d’A la recherche du temps de perdu de sieur Proust. Au fil des pages, elle parle de son aïeule (présumée) centenaire, ex romancière féministe devenue nonne à la mort de son fils, du fils en question, qui s’engagea dans l’armée au moment de la seconde guerre mondiale, devint kamikaze et se lança (c’est décidément dans les gênes de la famille) dans la rédaction d’un journal masqué aux yeux de la censure militaire par une écriture en français, mais également de son père suicidaire revenu au Japon après une défaite professionnelle aux Etats-Unis et, bien sûr, d’elle… du pourquoi elle est aujourd’hui dans ce café miteux, du comment elle se fait harceler méthodiquement par les élèves de son école et de la raison pour laquelle ce journal atterrira entre les mains de Ruth. Car, à des milliers de kilomètres de là, Ruth-la-romancière s’est enterrée sur une petite île canadienne avec son conjoint et trouve, au hasard d’une marée, ce carnet d’adolescente si particulier et loin d’être aussi puérile qu’elle ne l’escomptait. Elle plonge frénétiquement dans la vie de Nao, dans sa lignée et se lance à la quête virtuelle de la jeune fille et de sa famille, cherchant à comprendre, à renouer présent et passé.

Evidemment, je me suis tout de suite imaginé ce qu’un pouvoir surnaturel des pieds pourrait donner. J’aurais rêver d’en avoir un, mais quant à tous les autres sensibles, j’en étais moins sûre. C’est vrai, quel aurait été l’intérêt ? La différence entre Jiko et moi est là. Elle, elle aurait vraiment voulu que tout le monde ait des pieds surnaturels. Enfin bref, une fois notre toilette terminée, elle m’a emmenée au zendo. En même temps, toute la terre et tout le ciel - Ruth OZEKI

En même temps, toute la terre et tout le ciel : subtil et étrange

En même temps, toute la terre et tout le ciel de Ruth Ozeki
Ruth Ozeki oscille sans cesse entre passé et présent, dans un élégant jeu d’équilibriste, nous faisant perdre le sens de la réalité et du temps, tout comme à son moi littéraire : en lisant le journal de Nao, nous oublions qu’elle n’écrit pas dans notre présent mais bien dans son passé, et que plusieurs années nous sépare de ces lignes écrites dans un café d’hôtesses aux jupons en dentelle. Alternant sans cesse entre Ruth et Nao, on navigue entre deux vies, deux présents diamétralement opposés et on se laisse emporter par la frénésie de Ruth, ne pouvant s’empêcher de mener son enquête et se heurtant sans cesse contre le néant d’Internet… voire même la disparition des mots rédigés par Nao. Et soudainement, on plonge dans le fantastique à la suite de Ruth qui, dans ses rêves, agit sur le présent de Nao et de sa famille. Ruth Ozeki, tout comme Haruki Murakami, il est vrai, parvient à mêler réalité et illusion avec grâce ; nous emporte dans une belle réflexion sur l’héritage familial, les non-dits et leur puissance, l’Histoire et son impact sur les générations futures. En même temps, toute la terre et tout le ciel, malgré certains passages d’une crudité et d’une violence inouïes, est nimbé de poésie, de tendresse et de sagesse ; Ruth Ozeki parvient à distendre le temps, à l’amadouer et à nous rendre cette famille perdue tellement sympathique. Et, chose non négligeable, En même temps, toute la terre et tout le ciel nous fait découvrir le Japon, les monastères et leurs rites, les écoles et leur violence, la pression reposant sur les adolescents souhaitant avoir une vie professionnelle décente, l’envers du décor de ce pays que l’on fantasme bien souvent.

« Haruki Ojisama wa irasshaimasu ka ?* » j’ai murmuré.
Mais la seule personne à me répondre a été Chibi. Un chat, d’ailleurs, pas une personne.
J’ai réessayé : « Haruki Ichiban sama…?** »
C’est là que j’ai entendu quelque chose, comme un murmure ou une sorte de soupir, et quand j’ai regardé tout en bas des marches, j’ai vu un monstre, un fantôme qui grimpait dans ma direction. On aurait dit une chenille géante marron et gris. Tarati ! Les esprits attaquent ! j’ai pensé. J’ai sauté sur mes pieds et couru me cacher derrière le pilier en serrant Chibi dans mes bras avant qu’il me voie. En même temps, toute la terre et tout le ciel - Ruth OZEKI
*Oncle Haruki, êtes-vous là ?
**Monsieur Haruki I…?

Les détails du livre

En même temps, toute la terre et tout le ciel

Auteur : Ruth OZEKI
Editeur : Belfond
Prix : 22 €
Nombre de pages : 500
Parution : août 2013

9 janvier 2014

Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!

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. . Caroline D.