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Dépoussiérez vos classiques : Bonjour tristesse de Françoise Sagan
Un charme vénéneux

[Carozine dévore le roman Bonjour tristesse - Françoise SAGAN]

6 Oct. 2014

Carozine lit le premier roman de Françoise Sagan : Bonjour tristesse
« Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. » Cette phrase nous l’avons tous entendue au moins une fois dans notre vie et c’est avec elle que débute le roman envoûtant de Françoise Sagan… alors toute jeune fille de dix-huit ans. Voilà qui à de quoi laisser sans voix, surtout quand on réfléchit quelques instants aux copies un brin superficielles et franchement peu évoluées que l’on pouvait remettre à notre professeur de philosophie (le « nous » étant parfaitement usurpé et pouvant allègrement être considéré comme un « je », bien évidemment). A cause de cette phrase maintes fois entendue laissant entrevoir l’espoir d’une oeuvre somptueuse, je n’avais jusqu’alors jamais osé ouvrir Bonjour tristesse de peur d’être déçue. Oui, je sais : honte sur moi. Néanmoins, les éditions Julliard ont donné le coup de pied dans le popotin dont j’avais besoin et ont ressorti, à l’occasion des 60 ans de Bonjour tristesse, une version identique (ou presque : oui, je chipote mais le fac similé n'a pas dérogé à la règle du prix en euros) à l’original du premier roman de Françoise Sagan, datant de 1954. Ce fut décidé en un clin d’oeil, j’ai enfin osé ouvrir Bonjour tristesse et me plonger dans ce livre poétique au charme vénéneux : Bonjour tristesse est tout simplement une petite merveille qui mérite, si ce n’est déjà fait, que vous alliez fouiller dans le grenier de vos parents pour y dénicher un exemplaire, le dépoussiérer et le dévorer.

Bonjour tristesse : le charme de la mélancolie

Bonjour tristesse - Françoise SAGAN [Ed. Julliard 2014]
Cécile n’a pas tout à fait dix-huit ans et passe l’été dans le sud de la France, dans une villa louée par son père. Elle a quitté une austère pension il y a de cela deux ans et vit, depuis, dans l’extravagance, la dissolution car son père cultive les conquêtes comme certains s’occupent de tomates et emporte sa fille dans un tourbillon de sorties fort peu de son âge. Cécile vient de rater son baccalauréat mais le futur ne la préoccupe pas franchement, seule la brûlure du soleil sur sa peau importe. La dernière conquête en date du papa Don Juan, Elsa Mackenbourg, les accompagne dans cette vie d’amoralité grisante et d’insouciance. Mais le père volage se lasse rapidement. Tandis que Cécile croise le chemin du beau Cyril, une élégante femme fait son apparition et tranche singulièrement avec le cadre léger de cet été brûlant : Anne Larsen, à qui Cécile avait été confiée quelques semaines à sa sortie de pension afin de lui apprendre la vie en société. Devant la romance qui se noue entre Cécile et Cyril, Anne fronce les sourcils et joue les intrigantes, afin de se débarrasser de l’écrevisse et peu subtile Elsa… le père cède et accepte même d’épouser celle qui veut briser les ailes volages de cet homme et remettre Cécile dans le droit chemin, loin de la dépravation vers laquelle elle court avec enchantement. Dans ses savants calculs, Anne oublie un élément de taille : Cécile est à l’âge de la rébellion et n’accepte pas d’être prise pour un objet incapable de penser de lui-même et supporte encore moins l’idée de chaînes.

Dès l’aube, j’étais dans l’eau, une eau fraiche et transparente où je m’enfouissais, où je m’épuisais en des mouvements désordonnés pour me laver de toutes les ombres, de toutes les poussières de Paris. Je m’allongeais dans le sable, en prenant une poignée dans ma main, le laissant s’enfuir de mes doigts en un jet jaunâtre et doux ; je me disais qu’il s’enfuyait comme le temps, que c’était une idée facile et qu’il était agréable d’avoir des idées faciles. Bonjour tristesse - Françoise SAGAN

Bonjour tristesse : le doux parfum du scandale, le chant mélodieux de Sagan

Bonjour tristesse - Françoise SAGAN [Ed. Julliard]
Que les personnes repoussant à la dernière limite la tentation de lire Bonjour tristesse de peur d’une amère déception après des torrents de louanges, jamais taris malgré les 60 années de publication, se rassurent : Bonjour tristesse est une oeuvre à couper le souffle, fulgurante d’intelligence, d’impertinence et terriblement envoûtante. L’écriture fluide, aérienne et légère offre un écrin délicat à l’analyse pertinente que Françoise Sagan fait de ses personnages. Avec un regard acéré, elle décortique l’âme du Don Juan et de sa fille tentée par la décadence, ensorcelée par cette conception fiévreuse et éphémère de l’amour… par la découverte grisante des mécanismes de l’âme humaine et de la manipulation. Avec un machiavélisme innocent et un brin pervers, Cécile tisse son plan pour conserver sa précieuse liberté, sa capacité à choisir les partenaires dont elle a envie et plonger avec volupté dans la décadence. Mais cette liberté aura un prix et la jeune femme découvrira rapidement le sentiment de tristesse. A la lecture des péripéties de Françoise Sagan, on peut considérer Bonjour tristesse comme un autoportrait fugace, capturé à la sortie de l’adolescence, poignant et envoûtant. A sa sortie, Bonjour tristesse a provoqué un incroyable scandale, essentiellement concentré sur cette liberté tant dans l’amoralité que dans la sexualité ; néanmoins, je rejoins l’étonnement de Françoise Sagan : le scandale de Bonjour tristesse ne porte pas sur cette liberté mais bien sur la manipulation et le fait que Cécile se joue des adultes comme de vulgaires marionnettes, sans envisager une seule seconde les conséquences probables et rongée par un remord bien léger et rapidement effacé par la peau de Cyril. Cependant, loin de tout ce parfum sulfureux, Bonjour tristesse vaut pour la mélancolie qui le dévore et nous absorbe dans ses courants impétueux, pour la finesse de son analyse qui n’a pas pris une ride et, enfin, pour la vivacité musicale de son écriture car, vraiment, qui peut résister à cela ? « Quelque chose monte alors en moi que j’accueille par son nom, les yeux fermés : Bonjour Tristesse. »

J’avais la même impression que lorsque le sable s’enfuyait sous moi, au départ d’une vague : un désir de défaite, de douceur m’avait envahie et aucun sentiment, ni la colère, ni le désir ne m’avaient entrainée comme celui-là. Abandonner la comédie, confier ma vie, me mettre entre ses mains jusqu’à la fin de mes jours. Je n’avais jamais ressenti une faiblesse aussi envahissante, aussi violente. Bonjour tristesse - Françoise SAGAN

Les détails du livre

Bonjour tristesse

Auteur : Françoise SAGAN
Editeur : Julliard
Prix :14 €
Nombre de pages : 188
Parution : 18 septembre 2014

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Bonjour tristesse

6 octobre 2014

Longtemps, je me suis couché(e) de bonne heure... pour lire. So what?!

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. . Caroline D.